Après avoir assisté à la mise en espace par Peter Sellars de l’oratorio The Gospel According to the Other Mary, dont il avait lui-même réuni les différents textes pour le compte de John Adams, il est bon de pouvoir aborder cette œuvre indépendamment du spectacle dont elle est loin d’être indissociable, puisque la création eut d’abord lieu dans les conditions d’un concert ordinaire. L’oreille seule peut ainsi la juger dans sa nudité, « désellarsifiée » en quelque sorte, dépouillée des avantages et des inconvénients qu’apportait la ritualisation sellarsienne. Les forces et les faiblesses de la partition en sortent confirmées, même si elles ne sont pas nécessairement les mêmes qu’on percevait lors du passage de la tournée par la salle Pleyel.
Vocalement, la palme revient incontestablement au ténor Russell Thomas, dont chaque intervention se détache avec bonheur de la masse sonore. Sa voix s’élance au-dessus du magma, expressive et déliée, et retient aussitôt l’attention de l’auditeur. On aimerait pouvoir en dire autant de Kelley O’Connor, dont le timbre sans personnalité passe le plus souvent inaperçu, ce qui handicape gravement notre perception de l’œuvre : il est bien dommage que John Adams n’ait pas pu trouver interprète plus charismatique. Peut-être moins impressionnante qu’en scène, Tamara Mumford n’en reste pas moins une voix de bronze aux graves stupéfiants, et sans doute frapperait-elle davantage si on lui offrait un personnage à incarner, au lieu de ne lui faire proférer que des textes narratifs qui refusent d’associer à chaque voix un protagoniste particulier. Les trois contre-ténors tiennent fort correctement leur partie mais il est malaisé d’isoler l’un ou l’autre, tant ils chantent le plus souvent ensemble, avec un résultat souvent frappant, comme jadis dans El Niño.
L’écriture chorale a toujours été une des grandes forces de John Adams. La Los Angeles Master Chorale a ici l’occasion de briller dans les registres les plus divers puisqu’au chœur reviennent aussi bien les moments de confusion, quand la foule crie sa hargne ou son désarroi, que les pages exprimant la ferveur ou sérénité, tandis que l’orchestre bénéficie pour lui seul de quelques-uns des passages les plus marquants, comme la résurrection de Lazare, moment à partir duquel l’œuvre décolle véritablement, secondée par la fougue de Gustavo Dudamel. Ayant pris ses distances par rapport au dogme minimaliste, John Adams excelle à varier les atmosphères, notamment à travers le recours à des instruments rares, comme le cymbalum, mais pourquoi diable avoir eu recours à des chants d’animaux enregistrés pour le tableau du lever du jour ? Ravel n’en avait pas eu besoin dans Daphnis et Chloé !