L’objet, cubique, d’un volume de 13 cm3 environ et d’un poids avoisinant le kilo, défie la critique : 55 récitals de grandes voix, parmi les plus grandes de leur époque, choisis selon une règle qui nous a échappé, classés par ordre chronologique – de 1950 à 2010 –, avec leur pochette originale – ce qui permet d’apprécier l’évolution des goûts en matière de marketing musical – mêlant tous les genres – opéra, opérette, mélodies, Lieder, chansons napolitaines… – et tous les répertoires – italien, français, allemand… La plupart de ces enregistrements sont déjà disponibles séparément. Les plus anciens, gravés à l’origine sur microsillons, ont été augmentés d’une poignée de titres afin que leur durée corresponde à celle d’un CD.
Il y a, parmi ces 55 témoignages, ceux dont on a déjà parlé, soit parce qu’ils ont été édités ou réédités récemment, soit parce qu’ils figurent dans d’autres compilations commercialisée dernièrement. L’Operatic recital de Virgina Zeani était par exemple un des joyaux de la collection « most wanted recitals ». Les airs d’opéras italiens et mélodies napolitaines enregistrés par Giuseppe Di Stefano à la fin des années 1950 ont été englobés en 2011 dans un ensemble de cinq CD donnant un aperçu de l’art – discutable – du partenaire attitré de Maria Callas. L’intégralité des enregistrements de Renata Tebaldi a fait l’objet d’une édition limitée en coffret il y a moins de deux ans. Les dernières gravures de Kirsten Flagstad ont été réunies en 2012, à l’occasion du cinquantenaire de sa disparition. The Maltese Tenor de Joseph Calleja en 2010 nous laissait circonspect ; nous avons revu notre jugement depuis. Sehnsucht marquait en 2009 l’ascension populaire de Jonas Kaufmann, dont Werther un an après à la Bastille allait consacrer, en France, la suprématie. Dès 2005, les airs de Verdi et Donizetti enregistrés en 1968 par Luciano Pavarotti étaient repris en CD dans leur pochette d’origine…
Il y a, ceux que l’on connaît bien, pour avoir approfondi sa connaissance du chant et du répertoire en leur compagnie. Chacun dressera sa propre liste. En ce qui nous concerne, nous citerons les récitals déjà remastérisés au début des années 90 sous le label « Grandi Voci » de Cesare Siepi, Mario del Monaco, Giulietta Simionato, Elena Souliotis, Gérard Souzay, Joan Sutherland, Carlo Bergonzi et nous déplorerons au passage l’incompréhensible absence dans cette nouvelle compilation des fondamentaux que furent aussi, dans la même collection, Dietrich Fischer-Dieskau, Leontyne Price et Anita Cerquetti.
Il y a ceux, à l’inverse, que l’on connaissait surtout de nom : Martti Talvela, basse finlandaise mort d’une attaque cardiaque à l’âge de 54 ans en 1989 alors qu’il dansait lors du mariage de sa fille, voix fauve dans ses instants les plus nobles, bourrue le plus souvent, fixée ici dans des mélodies de Mussorgsky et Rachmaninov enregistrées en 1980 ; Josephine Barstow, soprano anglaise, âgée aujourd’hui de 86 ans, égarée entre autres dans un finale de Médée auquel on ne comprend goutte tant les consonnes sont mâchées ; Fernando Corena né à Genève en 1916 et mort à Lugano en 1984 qui, au contraire de la précédente, retient l’attention par une diction française irréprochable dans une poignée d’airs rarement enregistrés empruntés à Griselidis (Massenet), Le Caid (Thomas) ou encore Philémon et Baucis (Gounod)… ; Paul Schöffler, baryton-basse d’origine britannique dont on admire davantage dans Arabella les dons de diseur que le métal somme toute ordinaire. Il est ici éclipsé par sa partenaire, Lisa della Casa, elle-même présente dans un récital de Lieder auxquels on a eu la bonne idée d’adjoindre un « Es gibt ein Reich ! » (extrait d’Ariadne auf Naxos) d’une élégance suprême.
Il y a les décalés, ceux que l’on retrouve dans un répertoire où on ne les attendait pas forcément : Peter Pears chantant Winterreise accompagné de Benjamin Britten au piano, Hilde Gueden baladant son soprano léger à travers un florilège d’opérettes viennoises ; Elisabeth Söderström dans des chansons d’enfants composés par Mussorgsky, Prokofiev, Grechaninov et Rachmaninov ; Jennifer Vyvyan que l’on associe communément à Britten interprétant des pages de musique sacrée signées Mozart et Haydn.
Il y a ceux qui fonctionnent par paire, pour de faux – le récital de Robert Merril augmenté d’airs chantés par JamesMcCracken – et pour de vrai – Renato Scotto et Mirella Freni, réunies le temps de quatre grands duos dont deux font figure de raretés, l’un extrait des Due Illustre de Mercadante, l’autre de Bianco e Fernando de Bellini.
Il y a, interchangeables, les mozartiens – Teresa Berganza captée dans la fleur d’une ensorcelante jeunesse en 1962 –, les rossiniens – Marylin Horne ; Juan-Diego Florez et Cecilia Bartoli –, les verdiens – Nicolai Ghiaurov ; Maria Chiara ; Sherrill Milnes ; Leo Nucci –, les wagnériens – Hans Hotter ; Birgit Nilsson dans des airs d’opéra allemand puis en Isolde et en bonus dans le récital de Regina Resnik ; Gwyneth Jones qui teste les limites de ses notes les plus aigües dans des airs de Verdi – et les Liedersänger – Hermann Prey ; Tom Krause ; Brigitte Fassbaender ; Barbara Bonney ; Matthias Goerne qui frottait alors sa jeune voix au répertoire lyrique germanique (l’enregistrement date de 2000).
Il n’y a qu’un contre-ténor – Andreas Scholl compensant son défaut d’héroïsme par la lumière angélique du timbre – et deux (très grandes) chanteuses françaises – Susanne Danco et Régine Crespin.
Il y a, parmi les basses. outre les chanteurs précédemment cités, Paata Burchuladze, incontournable dans les grandes scènes de Boris Godounov, complétées d’une galerie de portraits verdiens : Fiesco, Banco, Filippo II, Silva.
Il y a Kathleen Ferrier qui fut l’élève du baryton anglais Roy Henderson (1899-2000) dont l’interprétation du Sea Drift de Delius est le premier enregistrement publié par Decca en juillet 1929.
Il y a enfin un bouquet de fameuses sopranos, légère – Sumi Jo inénarrable dans ce recueil déjanté de coloratures débridées qu’est Carnaval, –, lyriques – Angela Gheorghiu ; Renée Fleming ; Kiri Te Kanawa – et carrément dramatique – Sylvia Sass ; Susan Dunn.
Il y a tout ce qui fait la fierté de Decca : un catalogue lyrique gigantesque avec des artistes historiques enregistrés dans des conditions exceptionnelles, constitutives d’une qualité de son montrée hier comme aujourd’hui en exemple : le « Decca sound ». La « Decca pride » aussi.