La publication d’un triple CD au lendemain de la proclamation du palmarès témoigne de la popularité, sans doute unique pour une manifestation dévolue au classique, du Concours Musical International Reine Elisabeth. C’est d’abord l’occasion pour le public de revivre, sur un premier disque, quelques moments forts des finales en compagnie des six candidats primés et de l’Orchestre Symphonique de la Monnaie emmené par Roland Böer.
Certes, les extraits retenus, quels qu’ils soient, ne pourront jamais rallier tous les suffrages. En l’occurrence, alors que ceux choisis pour illustrer le talent de Sumi Hwang (premier Prix) ne sont pas loin de nous combler (« Quel guardo il cavaliere » ; « Die Nachtigall » de Berg et « Im Abendrot »), nous aurions volontiers échangé la Carmen pesante et sans charme de Sarah Laulan (troisième Prix et autant d’extraits) contre une troisième interprétation de Jodie Devos, dont la prestation se trouve réduite à deux plages (« Vorrei spiegarvi », « Glitter and be gay ») et ce malgré son … deuxième Prix.
Cette année, le deuxième disque reprend les coups de cœur d’une demi-douzaine de jeunes chanteurs belges – trois francophones et trois néerlandophones – en cours de formation et qui ont suivi l’intégralité des épreuves. Totalement libres dans leurs choix, ils ont ainsi pu repêcher des concurrents éliminés à l’issue des demi-finales : le mezzo chinois Zhang Yuan, dont, à vrai dire, le Schubert appliqué et impersonnel (« Der Erlkönig ») ne nous convainc pas plus aujourd’hui que hier, et la soprano britannique Susanna Hurrell, autrement éloquente dans le « Most holy night » d’Ivor Gurney. Parmi les six finalistes non classés, Sheva Tehoval, la benjamine surdouée (« Die junge Nonne » ; « C »), Levente Páll, la basse hongroise un peu brute de décoffrage (« Die beiden Grenadiere ») et la soprano allemande Daniela Gerstenmeyer (« Höre Israel » ; « Nacht und Träume » de Schubert) qui avait aussi de fervents admirateurs depuis une incursion hardie dans le répertoire contemporain au premier tour (« Parergon II » de Reimann, pièce a cappella) tirent particulièrement bien leur épingle du jeu. Quant à La Traviata (« E strano … Sempre libera »), elle nous laisse apprécier à loisir l’immense potentiel de la Coréenne Hyesang Park, décidément mal payée d’un cinquième Prix. Dans l’ensemble, l’écoute du coffret confirme nos premières impressions, nos enthousiasmes comme nos interrogations.
Toutefois, le passage au disque peut aussi s’apparenter à un moment de vérité : non seulement il est des timbres plus phonogéniques (Emoke Baráth) que d’autres (Chiara Skerath), mais surtout, avec le recul, loin de l’effervescence de la compétition et privé d’image, notre jugement s’aiguise. Faudrait-il, comme au dix-neuvième siècle ou dans l’émission The Voice, procéder à une première audition au cours de laquelle un paravent ou un voile de gaze dérobe les candidats à la vue des jurés et du public ? Dans de telles conditions, Yu Shao (quatrième Prix), Tamino au souffle court et terriblement statique, n’aurait peut-être pas été récompensé. Le rapprochement avec le Tamino, justement, de Thomas Blondelle (deuxième Prix en 2011), moins suave mais tellement plus vif et expressif, se révèle en tout cas bien cruel. Le ténor belge apparaît sur un troisième et dernier disque évoquant les précédentes sessions du Concours Reine Elisabeth consacrées au Chant (1988-2011). Il y côtoie, notamment, l’exquise Nanetta d’Hélène Guilmette (deuxième Prix en 2004) et le fringant Belcore de Stephen Salters (premier Prix en 1996), mais également l’Isabella, encore fragile et pourtant flamboyante, de Marie-Nicole Lemieux, le Lenski à fleur de peau et si personnel de Marius Brenciu et la Pamina virginale d’Olga Pasichnyk, soit le trio de tête de l’édition 2000 – probablement le meilleur cru à ce jour.