Liée à Martina Franca où elle a débuté en 1994, Patrizia Ciofi est restée fidèle à ce festival lyrique, comme en témoignent les nombreux extraits réunis dans ce double album qui lui rend hommage. Editeur attitré de la manifestation, le label Dynamic, qui réalise chaque année plusieurs captations, n’a eu qu’à puiser dans ce legs précieux auquel ont été ajoutés quelques extraits en provenance des opéras de Venise, Cagliari et Gênes. Le parcours qui s’étend de 1996 à 2007, permet de suivre et de mesurer l’évolution de l’artiste connue pour l’exigence et l’adéquation de ses choix, associés à sa curiosité musicale sans limite. Chaque répertoire – du baroque au bel canto en passant par le grand opéra français et Verdi – est ici abordé avec conviction, sincérité et une connaissance du(es) style(s) qui font de cette musicienne l’une des plus performantes de sa génération.
Les passages de L’Americano de Piccinni, qui datent de 1996, laissent entrevoir une jeune cantatrice douée d’une belle assurance, à l’expression vive et enjouée, qui possède un ravissant sourire dans la voix, impression renforcée par le long aria « Prendi amor » de Traetta, où les sonorités flûtées, les longs trilles et le goût prononcé pour l’ornementation, nous renseignent sur le degré de préparation musicale. Les accents nostalgiques et touchants de Ciofi en font d’ailleurs presque oublier la faiblesse de l’orchestre, platement dirigé par David Golub.
Chez Meyerbeer (Robert le Diable 2000), la soprano italienne n’a pas encore un français irréprochable, mais ses efforts sont honorables et sa manière de se glisser dans le style, d’en respecter les règles, de résister à l’écriture du compositeur, sont remarquables, notamment dans le suave « Robert toi que j’aime ». En meilleure condition en plein air en 2000, qu’en intérieur en 2007, les longs extraits du Crociato in Egitto, pourtant en italien, et accompagnés par Emmanuel Villaume, laissent apparaître un chant rêche et un timbre plus voilé que de coutume, mais comme toujours l’artiste même mise à rude épreuve vient à bout de cette musique à la virtuosité alambiquée, avec le courage et la détermination qui la rendent si attachante.
Toujours avec Villaume, mais cette fois à Cagliari en 2006, Ciofi campe une Ensoleillad de Chérubin, séduisante au possible « Je t’appartiens toute », à laquelle on préfère cependant la remarquable Desdemona (Otello 2000), où l’on admire la précision des vocalises, l’engagement et l’émotion distillés tout au long d’un air du Saule archet à la corde, qui laisse échapper son immense culture belcantiste. Invitée en 2005 à chanter Pia De’Tolomei de Donizetti, Patrizia Ciofi est à la fois bouleversante dans le récitatif « A questo nappo » dont les accents fiévreux font ressentir l’effroi de l’héroïne, et d’une extrême intensité dans l’air « Ah di Pia che muore », dont les couleurs parfaitement dosées accentuent le pathétisme de ce finale dont la section virtuose n’a toutefois pas la grandeur tragique de Maria Stuarda (opéra qu’elle vient d’aborder à Liège la saison dernière).
Echo d’une représentation génoise de 2005, La fille du régiment est un enchantement. Qui peut passer avec autant de grâce, de la douce mélancolie contenue dans l’étreignant « Il faut partir » où la ligne de chant contrôlée, la densité et la simplicité révèlent le vrai visage de Marie, au frénétique « Salut à la France », couronné par un mi naturel ? Personne. En conclusion de cet éloquent florilège, la grande scène de Violetta (réouverture de La Fenice en novembre 2004), reflet d’une mémorable prestation, rôle dans lequel la soprano est attendue l’été prochain à Orange, trois ans après une triomphale Lucia di Lammermoor.
François Lesueur