Harmonia Mundi a eu une excellente idée en rééditant cette série conçue par Olivier Bernager et François Manceaux et réalisée entre 1987 et 1991. Les bonnes émissions de vulgarisation sur la musique sont rares et celles consacrées à l’interprétation ainsi qu’à la transmission du savoir manquent encore plus cruellement à l’appel. Le cycle s’ouvre avec la leçon de René Jacobs, qui tient lui-même le clavecin pour des artistes alors inconnues mais promises à un bel avenir : Maria Cristina Kiehr et Susanne Rydén, ses élèves à la prestigieuse Schola Cantorum Basiliensis, que nous découvrons dans trois airs de Haendel. Un extrait de concert donné par René Jacobs complète le programme, Yvon Repérant (clavecin), Roel Dieltiens (violoncelle) et Marc Hantaï (flûte), alors fraîchement diplômé du Conservatoire de Bruxelles où il suivait l’enseignement de Barthold Kuijken, l’accompagnant dans le premier récitatif et la merveilleuse sicilienne de « Mi palpita il cor ».
Difficile de revoir aujourd’hui le film de Claude Mouriéras sans éprouver un pincement au cœur en songeant à cette époque bénie où René Jacobs chantait et furetait loin des sentiers battus pour nous révéler des trésors oubliés. Des clairs-obscurs de cette voix si personnelle, c’est tout un chapitre, parmi les plus exaltants, du mouvement baroque qui rejaillit et nous donne furieusement envie de réécouter des enregistrements qui ont marqué l’histoire du disque. Le seul catalogue d’Harmonia Mundi peut d’ailleurs se transformer en une magnifique invitation au voyage pour les mélomanes qui ne connaîtraient pas la maniera di cantare du Gantois.
Et pourtant le documentaire a mal vieilli, à commencer par l’image, excessivement crue, et le son, médiocre, en particulier lorsque le maître a la parole : un comble ! Il nous faut parfois augmenter le volume et revenir en arrière pour comprendre certaines interventions, car on ne veut rien manquer d’un exposé passionnant, lumineux, érudit mais vivant, dont le seul défaut consiste à aiguiser notre soif d’apprendre et de comprendre en l’étanchant à peine. Le temps passe beaucoup trop vite et on préfèrerait mille fois rester dans cette villa pour écouter intégralement la master class de Jacobs plutôt que de le suivre dans les rues de Montepulciano.
S’il n’évoque son parcours qu’en quelques mots, ce dernier nourrit sa démarche et c’est, par exemple, en véritable philologue que le contre-ténor évoque Cicéron pour mieux expliquer la rhétorique à l’œuvre dans l’aria da capo. Le pédagogue, qui chante volontiers pour montrer l’exemple, tient des propos particulièrement éclairants sur le trille, les cadences ou les spécificités stylistiques de la cantate, mais s’attache d’abord au sens des paroles et à l’expression, soulignant le rôle crucial de l’interprète dans le processus de création. Si Maria Cristina Kiehr et Susanne Rydén se sont fait un nom dans le répertoire du Seicento, où la musique sert encore le texte, l’enseignement de René Jacobs n’y est sans doute pas étranger.
Bernard SCHREUDERS