Orfeo réédite le Macbeth salzbourgeois de 1964, déjà disponible sous divers labels. Comme toujours avec l’éditeur munichois, le travail effectué sur la source sonore mérite d’être salué : le son est clair, aéré, débarrassé des moindres scories, la sensation d’espace propre au Manège aux rochers est idéalement rendue, l’équilibre scène/fosse est idéal. Le tout offre un confort d’écoute particulièrement appréciable.
Posons les choses d’emblée : nous tenons là un jalon majeur de la discographie de l’œuvre, principalement grâce au chef et au couple principal, malgré de nombreuses et inacceptables coupures, dont pâtissent en premier lieu les sorcières. C’est profondément regrettable.
La direction de Wolfgang Sawallisch se hisse à la hauteur de l’œuvre, ce qui n’est pas peu dire. Idéalement servie par un Orchestre philharmonique de Vienne tour à tour puissant et suggestif, superbe de couleurs, sa direction à la rythmique implacable est profondément théâtrale et énergique. Elle empoigne l’œuvre avec véhémence pour en faire ressortir la face sombre. Sawallisch privilégie une lecture martiale, qui convient tout particulièrement aux scènes de foule. Voilà qui change de certains chefs de seconde zone qui polluent la discographie de ce chef-d’œuvre verdien ! On aimerait toutefois que son geste, qui privilégie l’urgence du théâtre à la méditation, les déflagrations aux insinuations, laisse parfois l’orchestre respirer davantage (« La luce langue » ou le prélude de la scène du somnambulisme, par exemple, sont pris trop rapidement à notre goût, et manquent singulièrement de mystère. Dommage.)
Le Macbeth de Dietrich Fischer-Dieskau est plus à son aise chez Shakespeare que chez Verdi, c’est entendu. Cet immense artiste paraîtra toujours un peu exotique dans le répertoire verdien à qui ne jure que par les gosiers transalpins. La voix n’a pas le velours d’un Battistini, mais, en 1964, elle reste très homogène, d’un legato souverain, non dénuée d’un certain aplomb, sans cette tendance à détimbrer dans l’aigu qui apparaîtra plus tard. Mais surtout : nulle part, dans la discographie, on ne retrouve une telle intelligence du mot (un exemple : le phrasé de « Tutto è finito » après le meurtre de Duncan !!! »), une interprétation aussi fouillée, qui met en avant et exacerbe les failles du personnage, son côté veule, au point de le rendre presque touchant. Et pour rester sur un terrain strictement vocal, quelle miraculeuse merveille que ce « Piettà, rispetto, amore », phrasé sur le souffle, comme un lied ! On rend les armes.
La Lady de Grace Bumbry n’est pas en reste. C’est sans doute la plus saine vocalement que l’on connaisse. Altière, insolente de splendeur vocale, elle se joue des difficultés du rôle (les Beckmesser au petit pied pourront bien s’amuser à pinailler sur ses appogiatures dans le brindisi : vétilles insignifiantes). La mariée en viendrait presque à être « trop » belle, si l’on se réfère aux fameuses indications de Verdi demandant à la créatrice du rôle d’enlaidir sa voix pour souligner le caractère maléfique de Lady. Peu importe : aux côtés de Callas, insurpassable mais mal entourée, de Verrett et de Scotto, qui réussit à compenser par sa seule intelligence la fatigue réelle de sa voix, on est en présence d’une des toutes meilleures Lady préservées par le disque.
Le reste de la distribution n’évolue clairement pas au même niveau et n’appelle pas, dès lors, de commentaires aussi développés.
Le Banco de Peter Lagger, avec sa voix charbonneuse, semble un peu égaré dans les brumes d’Ecosse. Quant au Macduff d’Ermanno Lorenzi, poussif, au timbre ingrat et à l’émission engorgée, il s’agit clairement d’un second choix, ce qui, dans ce rôle, ne prête heureusement pas à conséquence.
Peu importe : c’est vers le chef et les deux époux maudits que l’on retournera, fasciné, car c’est d’abord et avant tout à eux que l’on doit cette soirée à bien des égards excitante.