Il est loin le temps où, coiffée comme les héroïnes de Dallas ou de Dynasty, Eva Lind chantait l’opérette viennoise avec le tout jeune Siegfried Jerusalem ou les duos d’opéra-comique avec Francisco Araiza. Cette soprano autrichienne affiche aujourd’hui d’autres choix, vestimentaires et musicaux : une robe Vivienne Westwood, comme Joyce DiDonato sur ses pochettes ; des compositions du jeune Debussy, comme Natalie Dessay avec Philippe Cassard ; des mélodies d’Erik Satie, comme Patricia Petibon sur son prochain disque. Ces ressemblances lui permettent-elles de rivaliser avec ses consœurs plus en vue ? La mélodie française est un domaine difficile, et même si divers chanteurs étrangers ont su s’y imposer, il n’est pas certain qu’Eva Lind dispose de toutes les armes nécessaires, malgré le soutien attentif que lui apporte le pianiste Jean Lemaire.
Aux côtés du susnommé Francisco Araiza, Eva Lind fut Olympia dans des Contes d’Hoffmann assez improbables, réunissant chez Phillips quelques stars du disque des années 1990 (Jessye Norman, Cheryl Studer). Et c’est un peu la poupée d’Offenbach qu’on retrouve ici. Le français est très correct, mais la diction n’est pas assez habitée pour vraiment retenir l’attention. Toutes les plages s’écoulent en un long et mignon ruban, « tout pa-a-arle d’amour » comme les oiseaux dans la charmille. La dame pépie fort joliment, et il lui arrive même de dénicher quelques charmantes choses : le très guilleret « Jour de noces » de Massenet, « Fleur jetée » de Fauré, avec son accompagnement digne du Roi des aulnes. Elle chante en duo avec elle-même la « Chanson espagnole » de Debussy, c’est-à-dire « Les filles de Cadix » de Musset, mais l’aigu s’avère franchement strident. Et l’agilité de la voix n’est plus tout à fait suffisante pour l’impossible « Romance d’Ariel ».
Cette joliesse uniforme devient un vrai problème pour Erik Satie, dont l’ironie se perd complètement. Eva Lind fait pourtant des efforts, mais n’est pas Felicity Lott qui veut, et il manque ici davantage qu’une articulation parfaite – ce qui n’est pas tout à fait le cas ici, dans l’aigu ou dans la vélocité –, il faudrait surtout cet esprit qui ne s’enseigne pas, voire cette gouaille qu’appellent les poèmes farces de Léon-Paul Fargue (Ludions). Il y a trop de retenue dans ce chant trop propre, que ce soit pour faire passer le frisson de Je te veux ou pour exprimer tout le chic canaille de La diva de l’empire.