« Basta con Maria Callas ! Basta ! Des livres, des articles dans la presse, des émissions télévisées à n’en plus finir ; on croirait que la seule voix dans l’opéra, c’est elle ! » Nadia Stancioff n’a pas écouté le conseil de Fedora Barbieri. Cette spécialiste des relations publiques, née en 1934, a rencontré Maria Callas en 1969, à l’occasion du tournage de Médée, le film de Pasolini. Nés d’un malentendu, leurs rapports s’avérèrent suffisamment amicaux pour que fût un temps envisagée la rédaction à quatre mains d’une biographie de la Divine. Le destin en décida autrement. Mais, après le décès de la cantatrice, face à la multiplication d’ouvrages mensongers et malgré les mises en garde de ses amis, Nadia Stancioff décida de prendre la plume. A-t-elle eu raison ?
Assurément si l’on en juge à la première partie de ce livre, édité en 1987 aux Etats-Unis mais traduit cette année seulement en français. Confrontée à la nécessité de raconter une vie qu’elle n’a pas intégralement partagée, l’auteur mène l’enquête et ce faisant, interroge des témoins majeurs : Fedora Barbieri donc mais aussi Jackie — la sœur —, Nicola Rossi-Lemeni — l’un des premiers partenaires — et pas mal d’autres. Des différentes réponses obtenues à la même question, Nadia Stancioff propose une synthèse enrichie de sa propre expérience. Se dessinent alors, avec une netteté supérieure à la moyenne des publications de ce type, les creux et les bosses de celle qui, parlant d’elle à la troisième personne, disait : « La seule personne en droit de critiquer la Callas, c’est la Callas ». Orgueilleuse, travailleuse acharnée, « intelligente plus qu’intellectuelle », intraitable, paranoïaque, schizophrène — on le serait à moins —, monstrueuse évidemment, la clé de la personnalité de Maria Callas réside peut-être dans ce que dissimulait la « stature imposante » de la femme : « l’honnêteté désarmée d’une enfant ».
Malheureusement, dès que Nadia Stancioff aborde les années où elle fréquenta la Callas, à partir de 1969 donc, le récit bat de l’aile. Les témoins écartés, l’anecdote prend le pas sur le sujet. L’inconduite d’Onassis, l’échec de la maternité, la relation amoureuse avec Di Stefano lors de cet ultime tour de chant dont l’auteure nous raconte les difficultés : rien n’est passé sous silence. Mais dévoiler ainsi la femme, c’est déshabiller le mythe. Le lecteur affamé de commérages trouvera matière à se sustenter. Le mélomane, lui, se contentera de ronger les os. De musique, il est de toute façon peu question tout au long de ces quelques 270 pages, auxquelles s’ajoutent 32 pages de photos sinon inédites, du moins insolites. La convocation à la barre de Sergio Segalini ne suffit pas à pallier cette lacune. Pour comprendre et mesurer tout ce que l’art lyrique doit à la Callas, mieux vaut interroger d’autres sources.