Version surprenante que celle de cette Passion selon Saint-Jean, dépourvue de profondeur. Indigne d’une diffusion internationale par les partis pris de la direction, plus proche de celle de Grossmann (années 1950) que de celle de la génération Harnoncourt, par ses effectifs, par une distribution sans intérêt sinon pour l’Evangéliste et Jésus, étonnant, n’est-ce pas ? Georg Poplutz, en bon disciple de Christoph Prégardien, se montre fidèle à l’enseignement de son maître. Son Evangéliste, que nous découvrons à cette occasion, s’approche de celui des “grands” ténors, il ne démérite jamais et nous vaut d’excellents numéros, sobres mais chaleureux, avec ce qui convient de dramatisation. Yorck Felix Speer, qui avait déjà enregistré cette Passion sous la baguette de Marc Minkowski, est un Jésus de luxe : le baryton basse en possède toutes les subtilités et son chant ne manque pas de nous émouvoir. Les autres solistes sont de second rang : une soprano au chant court, sans relief, une alto quelconque (« Von den Stricken meiner Sünden ») en retrait, désavantagée par la prise de son, un vaillant ténor, Daniel Sans, à la voix claire et bien projetée, une basse, Matthias Winckhler, fort honnête, est-ce suffisant pour sortir cette version de sa grisaille ?
A la tradition maîtrisienne est préféré le choeur mixte (34 chanteurs). Malgré son effectif, toujours lisible, c’est un modèle du genre. Il a l’agilité, la limpidité, la souplesse d’un chœur de solistes, tout en ayant cette rondeur cette dynamique, cette véhémence incisive, ces couleurs et phrasés superbes. L’orchestre, abondant – 30 cordes – accompagne, proprement, sans grâce particulière, un peu lisse avec des boursouflures inattendues. L’épaisseur du trait dérange (introduction de l’aria de ténor « Ach, mein Sinn »). Les tempi, le plus souvent sages (« Eilt ihr angefochtnen Seelen », se traine), ne contribuent pas à faire vivre cette lecture. Confié aux basson et contrebasson (!), à la viole de gambe, au clavecin, au luth et à l’orgue, selon les numéros, le continuo est scolaire, dépourvu de la moindre imagination. Le tempo des chorals – écrits pour que le cantus firmus soit confié à l’assemblée – est très changeant, en fonction du sens du texte. Le «Ruht wohl» final, serein, clair, estompe la dimension spirituelle. La direction de Ralf Otto s’inscrit dans la moyenne de ses pairs, ni admirable, ni détestable, médiocre. Jamais on n’est emporté par une pièce, si ce n’est par les chœurs, qui méritent mieux que cet orchestre et ce continuo nombreux et sans âme. La prise de son, dont la détermination est faible, plate, aux couleurs fades, sinon pour le chœur, nous renvoie au passé.
L’enregistrement est complété de ses variantes, d’un égal intérêt musical et musicologique, comme celui Rilling en son temps. Est-ce suffisant pour motiver son acquisition ?
Ni mystère, ni souffrance, le ciel nous est refusé.