Christoph Spering, cantor à Cologne-Mülheim, vit avec Bach depuis des décennies, sa riche production discographique en témoigne. On se souvient ainsi des 13 cantates sur des textes de Luther que nous valut le 500ème anniversaire de la Réforme. Son approche, remarquablement documentée, se veut double : musicologique comme spirituelle. Il s’est entouré pour la circonstance de solistes de premier plan, tout aussi familiers de l’œuvre du Cantor.
Le programme, centré sur l’année liturgique 1724/25, nous offre six cantates dont l’organisation présente de multiples similitudes : après un ample chœur d’ouverture, toujours confié à quatre voix, prennent place des arias (entre une et trois), un duo (trio dans la 116), liés par de courts récitatifs et suivis d’un choral final, homophone. La symétrie y est fréquente. L’instrument concertant favori demeure le hautbois d’amour. Le familier comme le curieux de l’œuvre de Bach seront cependant surpris de son extraordinaire faculté d’invention et de renouvellement : en dehors de « O Ewigkeit, du Donnerwort », monumentale, en deux parties, qui ouvre le cycle dont elle constitue la pièce maîtresse, les cinq cantates suivantes obéissent chacune à un projet spécifique (partita sur choral, cantate concertante…).
L’ouverture à la française de la cantate 20 souffre d’un manque de majesté, de solennité. La partie centrale, vivace, nous réconcilie avec la lecture, toujours empreinte du caractère sombre de l’œuvre. Comme il convient, le figuralisme est constant et l’aria de ténor (« Ewigkeit, du machst mir bange ») traduit remarquablement l’admirable frayeur en des traits tourmentés et virtuoses. Benedikt Kristjansson, y est superbe, tout comme la basse Daniel Ochoa, voix sonore, projetée à souhait, d’une superbe conduite, dans l’aria suivante avec les trois hautbois, comme dans celle qui ouvre la seconde partie. Pour cet enregistrement, en dehors du soprano, toujours chanté par Yeree Suh, Christoph Spering a fait le choix de confier chacune des autres parties à deux solistes, qui alternent au fil des cantates. Aucun ne démérite, les voix sont claires, puissantes, longues et parfaitement articulées, et mériteraient chacune un commentaire approprié. Retenons Yeree Suh, que l’on n’a plus besoin de présenter : elle est ici dans son élément, la voix légère et ductile trouve toutes les couleurs et les articulations pour illustrer chaque phrase, chaque mot avec justesse, le bonheur est au rendez-vous.
A travers les cinq cantates suivantes, toutes les formes expressives sont illustrées, de l’ouverture brillante avec la trompette (BWV 10) au lamento de basse qu’entrelace le hautbois d’amour (BWV 3) en passant par le canon, dansant, du duo entre la soprano et l’alto de la BWV 124. Les tempi sont justes, mais la dynamique reste parfois en deçà de celle adoptée par d’autres lectures. Le chœur, de vingt chanteurs, se montre ductile, clair et homogène, avec de beaux phrasés. Amplement sollicité par les riches ouvertures, il est remarquable d’équilibre. Les chorals, eu égard à leur fonction liturgique, sont chantés de façon égale, avec l’observance des points d’orgue. Aussi, pour être restitués de façon « historiquement informée », paraissent-ils compassés, invariablement mesurés et droits. L’orchestre, conforme à ce que l’on sait des exécutions dirigées par Bach, est rompu à l’exercice. Jouant sur instruments d’époque, selon les techniques alors en cours, il restitue les couleurs originales, l’orgue tout particulièrement. La perfection formelle, vocale comme instrumentale, est indéniable : du travail que n’eut certainement pas désavoué Bach, soigné, consciencieux, humble, d’une rigueur parfaite. Cependant, l’auditeur contemporain, familier d’une forme d’exubérance expressive, de contrastes accusés, d’une souplesse et d’une liberté d’improvisation des musiciens, restera un peu sur sa faim. De surcroît, les deux CD totalisant 111 minutes, le programme aurait pu s’enrichir d’une autre cantate, cette année liturgique étant particulièrement riche en chefs-d’œuvre (ainsi Aus tiefer Not ; Wie schön leuchtet der Morgenstern ; Jesu, der du meine Seele…) parmi les 49 qui nous sont parvenues.
Le livret, en anglais et en allemand, permet au chef d’expliciter ses choix interprétatifs. Les textes originaux sont traduits, leurs sources étant mentionnées dans l’introduction de Christoph Spering.