Le statut hyper médiatisé d’Anna Netrebko et la boulimie de son nombreux public ont leurs exigences. Il faut produire beaucoup et vite. Dès lors, le moindre soupir déchiffré se doit d’être gravé dans le marbre.
Cet enregistrement est le fruit de concerts conçus autour et pour Netrebko. Etant donné les enjeux et les attentes, on imagine le déploiement matériel. On évoque l’anniversaire de Pergolesi. Soit, pourquoi pas ? Pourquoi alors une telle indigence dans le livret (aucune traduction, contexte historique, explication de la démarche). Certes les mollets d’Anna sont toujours ravissants et convertiraient le plus revêche des hérétiques. Nous invitent-ils pour autant au recueillement de la sacrée musique de Pergolesi ? Qu’il nous soit permis, tel Saint Thomas, d’en douter. La notice se résume donc à un article people entre lancer de chaussures viennoises et promotion des trilles millimétrés de la Diva…
Il y a tellement d’autres choses à dire d’Anna Netrebko, car comme en témoigne sa toute récente et surprenante Bolena, cette cantatrice est capable de grandes choses quand elle s’en donne les moyens, mais cela est un autre débat. Et donc, nous abordons cet enregistrement en réprimant une irritation certaine. Ambiance…
Du contenu, on attendait beaucoup. Va pour la fête à Pergolesi, Anna allait-elle exhumer un disque entier de trésors oubliés ? Va également pour le Stabat Mater, « tubissime » à qui Pergolesi disparu prématurément, doit son immortalité en compagnie d’une certaine Padrona. Ensuite ? Une cantate qu’Anna avait vaguement dans ses cartons depuis sa prime jeunesse, à l’intérêt assez relatif. On s’arrête là pour la participation de la Diva. En mode équité, Pizzolato équilibrera avec une autre cantate tandis que Pappano s’amusera avec son ouverture orchestrale. Plus sujet à caution, nous semble, le choix de l’option stylistique. On nous dit que Netrebko redoutait l’autodafé des puristes baroqueux. Et alors ? Quel serait l’idiot du village qui demanderait à Anna d’endosser le châle d’Emma Kirkby ? Mais là, la responsabilité en incombe à Antonio Pappano dont les incursions sur les terres sacrées ont jusqu’ici fait autant de dégâts que les Goths en Etrurie : Requiem de Verdi plombé par son affiche vocale, Stabat Mater de Rossini en contre exploit avec une Netrebko en méforme totale et mettant en difficulté des solistes pourtant proches de l’idéal (Brownlee, Di Donato, D’Arcangelo). Pourquoi diable, Pappano veut-il jouer à l’apprenti sorcier baroque ? Ce n’est ni sa sensibilité, ni sa culture. Sa phalange fréquente d’autres styles et cela est très bien ainsi ! Il ne suffit pas tel Salomon, de couper son orchestre en deux et d’y adjoindre un premier archet autorisé pour faire renaître le Concerto Köln. Tout au long du disque, Netrebko et lui vont s’éreinter à entrer dans un moule inutile et étriqué d’où ne sortiront au final, que malaise et contrainte. Quitte à provoquer quelques infarctus, une approche plus « lyrique » ou belcantiste du Stabat ne nous dérange pas outre mesure. Pour tout dire, nous n’échangerions pas nos Freni-Berganza, Ricciarelli-Valentini ou Anderson-Bartoli contre certaines versions soi-disant autorisées étymologiquement. Parfois, souvent, l’émotion d’un chant saint et sincère suffit au plus grand des bonheurs.
Ce point, Marianna Pizzolato l’a saisi davantage. Tout en conservant son émission, elle ne se renie jamais avec un juste équilibre dans le contrôle. Son bagage rossinien lui est particulièrement précieux. Entre ses deux solistes, Pappano s’avère incapable de se définir comme le trait d’union indispensable. Deux voix superbes certes, mais on n’est jamais convaincu par une pulsion commune. Les duos pâtissent de ce manque de fusion qui devrait naître de l’accord de deux instruments vocaux ou de voix instrumentalisées au service d’une même âme vibratoire. Cette quête inaboutie n’autorise pas l’émotion de l’auditeur qui reste à l’extérieur à l’enregistrement. Enfin, demeure Nebrebko. On peut constater que le véhicule seul du disque, ne sert pas au mieux, dans cette tessiture, une voix toujours aussi conséquente mais requérant d’autres espaces pour s’épanouir. A côté de fulgurances ici et là, l’exercice de gainage ne convient pas aux mensurations de madame Netrebko à l’émission opaque, régulièrement trop basse. Comment pardonner des attaques empâtées, des effets de chaloupe prenant l’eau ? Tout cela finit par tuer la bonne volonté que l’on désirait accorder à cette écoute. La morale de ceci est que l’on s’étonne qu’une voix aussi torrentielle mais aussi si carentielle techniquement, parvienne encore à de tels résultats. Enfin, pour l’anniversaire de Pergolesi, on repassera un peu plus tard.
Philippe Ponthir