Et si le baroque ne convenait pas à toutes les voix ? Ni même le premier romantisme ? La mezzo québécoise Julie Boulianne était récemment Cenerentola à Limoges, elle fut le Roméo de Bellini à Reims, et on a pu l’entendre dans Mozart à Paris. Néanmoins, on peut se demander si ce répertoire, sans doute conseillé par la sagesse d’une jeune artiste, est bien celui où elle est destinée à s’épanouir au mieux. Le disque Vivaldi-Haendel qui vient de paraître chez Analekta inspire en effet quelques remarques à ce propos.
Cette suite d’airs tantôt célébrissimes, tantôt moins fréquentés, séparés par quelques respirations orchestrales, permet de retrouver un timbre superbe, profond et chaud, que l’on avait déjà pu apprécier dans un disque consacré au couple Mahler, sorti il y a plusieurs années. Naturellement, ces arias font aussi la part belle à la virtuosité, comme c’est presque inévitable dans la musique du Vénitien et du Saxon. Et c’est là qu’on peut émettre des réserves. Oh, la vocalisation est maîtrisée, le problème n’est pas là. Simplement, cette pyrotechnie-là n’éblouit pas, et l’auditeur n’est saisi d’aucun sentiment d’urgence. Le travail est très propre, mais cela ne suffit pas tout à fait. On voudrait davantage, on aimerait être empoigné, mais on reste extérieur. Et dans les passages où les notes se multiplient, là où il faudrait du brillant, la voix perd justement la richesse de couleurs qui séduit dans les airs moins rapides.
Peut-être l’ensemble Clavecin en Concert, dirigé par Luc Beauséjour, n’était-il pas de nature à introduire le grain de folie qu’on rêve toujours de trouver dans l’interprétation de cette musique. Là aussi, l’exécution est nette, sans bavures, mais
Après tous ces reproches, développons plutôt les qualités de ce disque. L’ airs d’Andromeda liberata convient fort bien à Julie Boulianne : dans cette plainte, la voix est libre de nous émouvoir, ce à quoi elle parvient à merveille. Entre la beauté du grave et la délicatesse du phrasé, l’amateur est ici comblé, et le très bref « Dite oimè ! » est également un pur bijou. D’Ariodante, on préférera « Qui d’amor » à « Con l’ali di costanza », pour les mêmes raisons, et le « Cara speme » de Giulio Cesare fait mouche. Quant à l’ultime plage, « Salda quercia », peut-être a-t-elle été placée là parce que la virtuosité s’y avère enfin compatible avec la richesse du timbre.
On se prend donc à songer à un avenir plus ou moins proche, dans lequel la mezzo pourra s’affranchir du répertoire vocalisant et se consacrer à d’autres musiques. Et pourquoi pas du côté de l’opéra français, puisqu’on a pu l’entendre à Nantes dans L’Heure espagnole ?