Ne vous attendez pas à retrouver un timbre miraculeux comme celui d’Aled Jones, la lumière profuse d’un Sebastian Hennig ni moins encore cette prodigieuse mezza voce que Leonard Bernstein admirait tant chez Bejun Mehta. Le soprano, ferme et très homogène, d’Aksel Rykkvin manque de personnalité et pourrait, de prime abord, décevoir ou plutôt dérouter, tant la fraicheur à laquelle nous nous attendons est immédiatement éclipsée par l’aplomb et l’agilité, stupéfiants, avec lesquels il se lance dans les coloratures de Jauchzet Gott in allen Landen et, plus tard, de Let the Bright Seraphim in burning row. Seraphim : le mot est lâché, pour être aussitôt écarté, car le chant athlétique de ce musicien de douze ans évoque tout sauf l’angélisme des boyish trebles d’Outre-Manche ou des Knaben d’Outre-Rhin engagés par Leonhardt et Harnoncourt pour leur fameuse intégrale des cantates de Bach. Revers de la médaille, Aksel Rykkvin donne parfois même l’impression d’avoir forcé sur la potion magique, dardant ses aigus à l’envi et au détriment tant du texte que de la musique. Tout n’est pas qu’une question d’âge, comme l’ont montré, a contrario, Sebastian Hennig ou Panito Iconomou, bouleversants d’intériorité chez Schütz ou chez Bach (Passion selon saint Jean).
Né le 11 avril 2003, Aksel Rykkvin commence sa formation musicale à neuf ans dans les rangs du Chœur de la Cathédrale d’Oslo, mais également au sein du Chœur d’Enfants de l’Opéra National de Norvège. Véritable star locale, doté de son website, de sa page Facebook et très présent sur Youtube, il a donné une multitude de concerts dans son pays mais également au Royaume Uni et participait, en mars 2016, à la création d’Elysium, ouvrage post-apocalyptique de Rolf Wallin, après avoir déjà incarné le rôle-titre du Jasager de Kurt Weill. Aux habituels Ave Maria, Pie Jesu et autre Agnus Dei, Aksel préfère d’ailleurs le costume d’Oberto dans Alcina, un rôle écrit par Haendel pour le jeune William Savage et chez Mozart, ce n’est pas le délicat Hyacinthe qui retient son attention, mais Chérubin. A vrai dire, Non so più cosa son convient nettement mieux à son tempérament qu’un Lascia ch’io pianga emprunté et nerveux, mais pour peu qu’il canalise son incroyable énergie, la performance s’ouvre à la poésie (Bist du bei mir).
Fort hétéroclite, le programme n’échappe pas aux défauts propres à ces albums avant tout promotionnels. On aurait aimé que ses professeurs, mais aussi Nigel Short qui l’accompagne à la tête de l’Orchestra of the Age of Enlightenment guident les choix du jeune virtuose et le préparent mieux à interpréter certaines pages, à peine déchiffrées, au lieu de cautionner une transposition inutile et narcissique comme celle d’Eternal Source of Light Divine. Sans doute sommes-nous trop impatient de voir s’épanouir la musicalité d’un artiste si prometteur. Mais rassurons-nous, si la mue est inéluctable, elle ne mettra pas forcément un terme à sa carrière. Aksel nous reviendra peut-être en contre-ténor, tel Andreas Scholl, Bejun Mehta, Max Emanuel Cencic et bien d’autres, en baryton comme Sebastian Hennig ou encore en chef d’orchestre, à l’instar de Roy Goodman, Robert King ou Raphaël Pichon… Prochaine étape, si Dieu le veut : Yniold à l’Opéra National de Norvège au printemps 2017. Longue vie et prospérité !