Créée au festival de Peralada en 1999 pour la prise de rôle de Robero Alagna en Don José, la Carmen mise en scène par Calixto Bieito a tourné dans presque toute l’Europe et fait l’objet d’un DVD avant d’être présentée pour la première fois à Paris en mars dernier. Cette production qui transpose l’action dans les années 70, a plutôt bien vieilli. Précédée d’un parfum de scandale à cause de scènes ouvertement licencieuses, elle joue la carte du réalisme avec ses soldats menaçants, aux mœurs brutales et ses contrebandiers délibérément violents, à des lieues des brigands d’opérette qui nous sont montrés d’habitude. Dommage qu’elle recèle également quelques éléments dispensables comme par exemple ce personnage ivre qui hurle pendant la fin de l’ouverture ou cette petite fille qui décore un arbre de Noël. Musicalement, c’est la version originale, sans les récitatifs de Guiraud, mais avec des dialogues parlés réduits au strict minimum, qui nous est proposée, amputée hélas par de nombreuses coupures dont certaines nuisent à la vraisemblance du récit. Un exemple, à la fin de son air Escamillo s’en va sans avoir regardé Carmen ni lui avoir manifesté le moindre intérêt, sans non plus qu’elle ne lui ait laissé quelque espoir. Par conséquent, on ne comprend pas pourquoi il réapparaît au cours du trois dans le repaire des contrebandiers, sûr de son fait.
Pour cette reprise, l’Opéra Bastille a convoqué une distribution renouvelée, du moins pour ce qui concerne le chef et les personnages principaux. Dans les seconds rôles on retrouve avec bonheur le Moralès inquiétant de Jean-Luc Ballestra, le Zuniga ambigu de François Lis et les acolytes hautes en couleurs de Carmen, Antoinette Dennefeld et Vannina Santoni, respectivement Mercédès et Frasquita, dont les voix sont parfaitement différenciées. Remarquablement préparés par José Luis Basso, les chœurs -qui nous ont offert un début du quatre étincelant- et l’orchestre sont placés sous la direction alerte et précise de Mark Elder.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Marina Costa-Jackson campe une Micaela au timbre corsé qui n’est pas avare de décibel. Son air « Je dis que rien ne m’épouvante » aurait gagné à être plus nuancé. On peine à imaginer une frêle jeune fille apeurée dans ce chant constamment en force et ces aigus lancés à pleine puissance, Dommage car la soprano possède des moyens conséquents. On attendait beaucoup de l’Escamillo d’Ildar Abdrazakov qui réussit sans peine à créer sur scène un personnage séducteur et fanfaron. Malheureusement, la basse n’a pas semblé au mieux de sa forme vocale, du moins au deuxième acte. Son « toast » joliment chanté manquait de mordant dans l’aigu, d’assise dans le grave. Une fatigue passagère sans doute. Au trois, la voix mieux projetée dans le duo avec Don José – réduit hélas à un seul couplet – avait retrouvé une partie de son éclat habituel, mais un peu tard.
Le timbre de Bryan Hymel n’est certes pas le plus séduisant qui soit mais le ténor parvient à composer un Don José attachant, à la fois rustre et naïf. Sa « fleur que tu m’avait jetée » est interprétée avec élégance et se conclut par un si bémol mezzo forte tenu. Secondé par une partenaire à sa hauteur le ténor nous offre une scène finale hallucinante, au cours de laquelle tous deux font preuve d’un investissement dramatique spectaculaire qui laisse les spectateurs pantois avant de déclencher une ovation retentissante.
Anita Rachvelishvili qui fut en début de saison une Dalila remarquée, campe une Carmen proche de l’idéal. On ne sait qu’admirer le plus, la richesse du timbre aux couleurs chatoyantes, le grave large et profond, la dynamique de la voix qui lui permet d’alterner les piani les plus délicats avec des forte à la fois puissants et ronds, les infinies nuances dont elle pare son chant sans jamais tomber dans la vulgarité, la parfaite compréhension du personnage ou encore son aisance sur le plateau. Sa habanera est chanté avec un chic épatant, ses « remparts de Séville » débordent d’une sensualité exacerbée et sa scène finale, on l’a dit, est impressionnante.