Zemlinsky vécut malheureux, affectivement seul, et sa souffrance transparaît dans toute sa production, en particulier dans ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’oeuvre : La Symphonie lyrique. Ecrite dans la lignée du Chant de la terre, de Mahler, un quart de siècle après, elle lui emprunte son principe – donner au lied une dimension symphonique – pour construire une sorte de drame gigantesque au travers de sept pièces, où le baryton et la soprano vont alterner sans jamais se rencontrer. Malgré son effectif et sa puissance, quelles que soient les effusions, les emportements embrasés, l’orchestration savante et luxuriante de Zemlinsky constitue un écrin autant qu’un commentaire du chant. Soulignons aussi les soli instrumentaux du 6e lied, tragique. Au Festival de Radio France et Montpellier Languedoc, ce 23 juillet, Christian Immler, comme la soprano suédoise Malin Hartelius sont dans leur élément. Leurs timbres, leurs qualités dramatiques et leur projection sont en parfaite adéquation avec l’oeuvre. La qualité de leur articulation mérite d’être signalée, au service d »une intelligibilité rare. Si le pathos expressionniste est souvent convoqué avec ses pesanteurs, la fraîcheur faussement naïve de la voix de la soprano au début de son intervention (« Mutter, der junge Prinz »), l’apaisement que recherche l’amant dans le lied conclusif sont comme une bouffée d’oxygène dans ce monde sombre, accablé, où la lumière est rare. L’Orchestre National, conduit efficacement, sans grandiloquence, par John Neschling, illustre cette partition difficile avec art. Les parfums sensuels du 4e lied (« Sprich zu mir, Geliebte r») sont traduits avec subtilité, les emportements avec vigueur. Avertissement : pour les personnes en état dépressif, ne pas dépasser la dose d’un mouvement par jour.
Zemlinsky Alexander : Symphonie lyrique d’après des poèmes de Rabindranath Tagore pour soprano, baryton et orchestre, op 18. Malin Harterius, soprano ; Christian Immler, baryton. Orchestre National de France. Direction musicale : John Neschling. Montpellier, Opéra Berlioz, Le Corum, 23 juillet 2016, 20 h