C’est ce qu’on appelle dans le jargon des présentateurs de télévision la magie du direct, autrement dit l’imprévu qu’il faut gérer comme si de rien n’était. Des deux ténors attendus hier soir, lundi 2 février, aux Victoires de la musique, en direct de l’auditorium du Nouveau Siècle de Lille, l’un – Bryan Hymel – se trouve bloqué dans un avion aux Etats-Unis, l’autre – Jonas Kaufmann –, entre deux représentations d’Andrea Chénier à Londres, est finalement trop fatigué pour se déplacer. Leur absence passe pourtant inaperçue, ou presque. Privée de son « Soave fanciulla », Sonya Yoncheva chante l’air de Sapho, reçoit un bouquet et puis s’en va. Verlaine et Haendel, le timbre de Philippe Jaroussky, par deux fois, saisit. Sabine Devieilhe dans l’air de Cunégonde, extrait de Candide, a autant d’aigu que de fantaisie. Mais de révélation en 2013, être déjà consacrée, n’est-ce pas trop tôt quand on a autant de talent à dispenser durant – on le souhaite – encore pas mal de temps ? Pour François Le Roux à l’inverse, n’est-ce pas trop tard ? Si grand soit l’interprète, son nom parmi les prétendants au titre d’artiste lyrique de l’année reste une énigme. Pourquoi ne pas lui avoir plutôt remis cette victoire d’honneur que Jonas Kaufmann n’a pas voulu venir chercher, ne serait-ce que pour bons et loyaux services rendus à la musique française ? Emmanuelle Haïm oblige la basse Bogdan Talos à passer de l’ombre – la voix de Neptune dans Idomeneo actuellement à l’affiche de l’Opéra de Lille – à la lumière : un air du froid de Purcell qui, concert d’Astrée et direction aidant, donne le frisson. Pumeza Matshikiza, la nouvelle étoile de Decca, fait sensation mais ne serait-il pas temps d’envisager de chanter autre chose qu’un sage « O mio babbino caro » ? Entre chaque numéro, Frédéric Lodéon et Louis Laforge font mieux que se renvoyer la balle : ils rendent d’indispensables hommages – Ciccolini, Chancel – et délivrent le message attendu sur l’importance de la culture en général, et de la musique classique en particulier. Et après ? La messe est dite, on ne se félicitera jamais assez qu’elle le soit sur petit écran à une heure de grande écoute. D’autant qu’il est faux d’écrire qu’elle fut célébrée sans ténor. « Fantaisie, ô divin mensonge » chanté dans un français châtié par Cyrille Dubois, révélation lyrique de l’année, confirme que, dans notre répertoire et dans cette tessiture, la relève est assurée.
Victoires de la Musique Classique 2015, palmarès :
- Soliste instrumental : Edgar Moreau (violoncelle)
- Artiste lyrique : Sabine Devieilhe (soprano)
- Révélation, soliste instrumental : Jean Rondeau (clavecin)
- Révélation, artiste lyrique : Cyrille Dubois (ténor)
- Compositeur : Guillaume Connesson
- Enregistrement : Bach, Köthener Trauermusik BWV 244a (Harmonia Mundi)