Lancé dans une grande série de coffrets rassemblant des enregistrements anciens tantôt méconnus, tantôt plus rares, le label Forlane propose en sept disques la trilogie Da Ponte enregistrée par Herbert von Karajan dans l’immédiat après-guerre. On y retrouve des noms familiers dans des versions quasi mythiques, mais le demi-siècle écoulé depuis permet un regard plus distancié.
Avec Les Noces de Figaro gravées en 1950, il faut d’abord admettre l’existence d’une « intégrale » sans récitatifs, mais c’est peut-être préférable vu la façon dont la plupart des chanteurs prononcent l’italien. Même Irmgard Seefried effleure les mots, de peur d’y mettre des consonnes trop germaniques, mais c’est raté. On baisse pourtant les armes devant sa Susanna rieuse et soudain pleine d’énergie lorsqu’il s’agit de donner des claques à Figaro, l’excellent Erich Kunz. La coutume n’existait alors pas encore de confier Cherubino à une mezzo, ce qui nous vaut la présence de Sena Jurinac, à la voix très proche de Seefried (et même de Marcelline). Schwarzkopf est bien sûr une Comtesse très distinguée, mais George London semble avoir une patate chaude dans la bouche, et l’agilité ne fut jamais sa principale caractéristique.
Le Così fan tutte de 1954 inclut à peu près toute la musique de Mozart, malgré quelques coupes dans les récitatifs. Bruscantini et Panerai sont là pour montrer comment prononcer l’italien, mais cela n’aide guère la Despina de Lisa Otto, plutôt bonne actrice mais soubrette teutonne et acide. Nan Merriman chantait alors beaucoup Dorabella, mais ne parvient pas à nous intéresser. Don Alfonso est étonnamment gentil et jeune, mais l’on apprécie le raffinement de Simoneau en Ferrando et la noblesse de Schwarzkopf en Fiordiligi. Seul problème : on a l’impression que personne ne croit vraiment à cette œuvre encore jugée mineure. Et les tempos, globalement confortables, sans doute pour permettre à chacun de vocaliser proprement, sont parfois d’une lenteur assommante, transformant le brindisi de la fin en marche funèbre.
Don Giovanni est un live capté à Salzbourg en août 1960, où l’on entend le public rire. Grâce aux tempos ultra-rapides adoptés cette fois par Karajan (même Schwarzkopf a du mal dans « Non ti fidar », avec des récitatifs débités à toute allure, parfois parlés plus que chantés, l’œuvre tient sur deux CD, mais au prix d’une coupe assez malvenue en plein milieu du final de l’acte I. On retrouve quelques-uns des interprètes présents dans la version Giulini, mais Eberhard Wächter s’amuse ici infiniment plus – il faut l’entendre imiter Walter Berry lorsqu’il se déguise en Leporello ! L’Ottavio de Cesare Valletti est insignifiant, Niccola Zaccaria n’est pas très en voix en Commandeur, et Panerai est un assez vilain Masetto. Quant à Leontyne Price, on ne comprend d’abord pas un mot de ce que chante cette Anna incendiaire, consumée par une flamme dévorante, dont la voix opulente s’épanouit mieux dans « Non mi dir » (en prenant bien son temps dans la vocalise finale) que dans les airs rapides.
[Laurent Bury]
Herbert von Karajan, Mozart – Da Ponte, coffret de 7 CD Forlane, FOR 17008