Alors que le monde est chamboulé par ce virus hargneux, la vie continue pour les artistes. Nous avons recueilli quelques mots de certaines des grandes sopranos de notre temps. Voici les deux derniers témoignages, après les épisodes 1 (Lisette Oropesa, Nadine Sierra et Vannina Santoni), 2 (Valentina Nafornita et Nino Machaidze) et 3 (Ermonela Jaho, Anna Pirozzi et Eleonora Buratto).
Irina Lungu : « Je suis chez moi à Milan depuis dix jours déjà après mon retour de Sydney. Le retour en Italie fut un vrai périple. J’ai mis deux jours à rentrer chez moi … Avec mon fils de 10 ans nous ne pouvons pas sortir de chez nous et je dois dire que c’est la première fois de notre vie que nous vivons cette situation insolite et particulière. Une fois passé le jetlag du voyage, s’est imposée la question de « comment allons-nous occuper nos journées ? » parce que nous ne sommes plus du tout habitués à ce style de vie. Nous vivons vite, trop vite et cette situation apparaît comme un réel défi. Avec mon fils il y a aussi le problème de l’école car elles sont toutes fermées donc une partie de la journée est dédiée à l’enseignement. A Milan le confinement est soumis à des règles très strictes où on ne peut sortir qu’en cas d’extrême nécessité. On improvise à la maison, on s’occupe des fleurs dans les jardinières des balcons (car on n’a pas de jardin), on fait des photos et vidéos pour Instagram, on lit des livres, on regarde des films. On cherche aussi à faire des recette de cuisine variées. Pendant que mon fils étudie, j’étudie de mon côté, je fais quelques vocalises mais j’avoue pâtir d’un manque de motivation étant donné qu’on ne peut pas se projeter. Je ne pense pas être la seule à ressentir ce manque de motivation là. Tout a été annulé en avril et j’espère que les projets vont être maintenus en mai mais la situation semble s’empirer de jour en jour … Mes deux performances de Traviata ont été supprimées ainsi qu’un Requiem dirigé par Placido Domingo dans le cadre d’un gala caritatif à Moscou et j’espère que les représentations à Vienne fin mai (pour Don Giovanni, ndlr) vont être maintenues. La scène et le chant me manquent terriblement. Cette situation est violente car ces dernières années j’ai été habituée à travailler à un rythme tellement soutenu. Par exemple, il y a deux ans j’ai eu cinq prises de rôle en une seule saison et je ne cache pas que me retrouver dans cette situation, sans savoir quand tout cela va se terminer et sans stimulation, c’est difficile. J’essaie de rester forte mais c’est une vraie lutte, bien que nous soyions vraiment privilégiés par rapport à d’autres personnes en Italie ou ailleurs dans le monde. L’Italie est ma seconde patrie, j’y vis depuis 17 ans et cette sitation me peine vraiment. C’est un pays très touristique et c’est normal que ce soit le premier pays européen à avoir été touché par ce virus. Aucun pays en Europe n’était préparé à cette pandémie car nous n’avions pas été confrontés à cette situation depuis de très nombreuses années. Avec le confinement et les mesures prises par le gouvernement, les mentalités ont changé, les gens ont peur et le peu de personnes que l’on voit dans la rue et les supermarchés portent un masque. En revanche, je me sens beaucoup plus en sécurité en Italie que dans n’importe quel autre pays. Je sais que les statistiques ne sont pas réjouissantes mais je pense que le système sanitaire en Italie et notamment en Lombardie où je vis, est l’un des meilleurs au monde. Je pense que certains pays ne se rendent pas encore compte de la gravité de la situation ou s’en sont rendu compte trop tard. Tous les soirs je me couche en espérant que demain sera un jour meilleur, avec l’espoir de revenir sur scène très prochainement avec encore plus de joie qu’auparavant. »
Olga Peretyatko : « Je suis à Berlin où ma production d’Idomeneo a été intégralement annulée au Staatsoper Unter den Linden. Le jour du broadcast prévu de notre Idoménée, j’ai eu la chance de chanter un air d’Electre dans le cadre d’un concert spécial diffusé en ligne et sans aucun public physique. RBB Tv Channel a organisé cet événement et je tenais à chanter mon Electre. C’est une sensation assez étrange que de chanter dans une salle vide mais je savais qu’il ya aurait beaucoup de téléspectateurs. En effet, le lendemain j’ai appris que le concert avait été suivi par plus de 90000 personnes ! Quelques concerts dans d’autres pays ont été également annulés. Par ailleurs, mes débuts en Mathilde dans Guillaume Tell de Rossini semblent assez compromis. Bien sûr, cette situation touche particulièrement les artistes freelance. Nous sommes tous inquiets et espérons que cette situation change le plus rapidement possible mais pour l’instant on se doit de protéger les personnes âgées qui sont les plus vulnérables en restant chez soi et en évitant les contacts. Il en va de notre responsabilité à tous ! Donc s’il vous plaît, prenez soin de vous et restez chez vous ! »
C’est sur ces paroles que s’achève ce feuilleton où quelques sopranos ont pu donner leur voix – d’une façon inacoutumée, certes – et l’on espère pouvoir très bientôt entonner un « Viva la libertà » une fois le confinement terminé, à l’instar d’Olga Peretyatko et Valentina Nafornita, toutes deux protagonistes de ces épisodes. Nous espérons applaudir à nouveau ces artistes au quatre coins du monde tout prochainement.
Propos traduits de l’italien et de l’anglais par Maxime pierre