L’annonce, vendredi dernier, par le Metropolitan Opera de l’annulation la saison prochaine d’une nouvelle production, très attendue, de La forza del destino fait couler de l’encre outre-Atlantique. Elle confirme la fragilité financière de l’institution lyrique new-yorkaise, confrontée ces dernières années à une chute sévère de la billetterie et obligée de réduire ses coûts de fonctionnement, ce qui ne s’est pas fait sans heurts et grognements – on se souvient des mouvements sociaux de l’été 2014 lorsque Peter Gelb a proposé une baisse des salaires de 16%. L’équilibre du budget reste la priorité. L’annulation de La forza permettra une économie d’environ un million de dollars, ce qui peut sembler peanuts par rapport à un budget annuel de 300 millions de dollars et un déficit de 22 millions de dollars pour la seule saison 2013-2014.
D’où le procès d’intention fait à Peter Gelb. Cette décision ne serait-elle pas une manière d’écarter celui qui devait mettre en scène cette Forza del destino : le sulfureux Calixto Bieito, connu pour ses partis-pris radicaux, ses corps dénudés et autres abus de sexe et de violence ? Le Metropolitan Opera n’est pas réputé pour son avant-gardisme et il ne faudrait pas choquer le mécène au moment où les fonds privés sont plus que jamais nécessaires. Avec Stefan Herheim et son projet de Meistersinger von Nürnberg finalement abandonné, Calixto Bieito est le deuxième metteur en scène européen à être récemment débarqué du Met. « C’est une malheureuse coïncidence » se défend Peter Gelb qui affirme vouloir monter des productions plus audacieuses dans les années à venir et, à cet effet, révèle avoir engagé des discussions avec Ivo van Hove et Barrie Kosky*.
En attendant, la saison new yorkaise 2017-2018, annoncée le mois prochain, comprendra cinq nouveaux titres, au lieu des six initialement prévus et des sept en vigueur au début du mandat de Peter Gelb en 2006 (contre trois ou quatre auparavant). Un Requiem de Verdi dirigé par James Levine avec Krassimira Stoyanova, Ekaterina Semenchuk, Aleksandrs Antonenko et Ferruccio Furlanetto les 24, 27, 29 novembre et 2 décembre 2017 tentera de faire passer la pilule. La précédente mise en scène à New York de la Forza del destino, réalisée par Giancarlo Del Monaco en 1996, a été vue pour la dernière fois en 2006. Stéphane Lissner qui déclarait lors d’un quiz malheureux que l’œuvre de Verdi porte malheur n’avait peut-être pas tort.
* A propos de la politique artistique du Met, lire l’interview que Peter Gelb a accordée à Laurent Bury en juin 2015