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Et donc, dans Im Abendrot, Karita Mattila décide de suspendre le son dans les airs, et de l’y maintenir. La voix danse sur un fil, aucune nuance ne manque et cependant aucune ne sollicite le forte. Le lied est déroulé tout entier dans une mi-voix intérieure, rayonnant presque magiquement de la chanteuse comme si l’on entendait son rêve intime. Cela flotte et cela songe. La salle est suspendue à son tour à ce moment presque onirique où la voix certes parle mais aussi bien se mêle aux couleurs les plus pures de l’orchestre. Jamais sans doute n’avais-je entendu une voix se faire violon ou alto à ce point – sauf Schwarzkopf, même c’était au disque. Si bien que le chant semble sourdre du sein de l’orchestre autant que de la gorge de la soprano. Pour ces instants seuls il valait la peine d’être à Pleyel l’autre soir. Les trois premiers des derniers lieder de Strauss ne furent pas moins enchanteurs, même s’ils ne nous exilèrent pas au même point dans quelque contrée de pure contemplation. Absolument fascinante en particulier est cette maîtrise de Mattila à faire que sa voix résonne plus qu’elle ne sonne. Dans ces brèves narrations qui sont aussi des remémorations ou des regards spirituels portant loin, elle se contente d’évoquer où d’autres font étalage de leur opulence vocale. Mais cette évocation toujours flotte au-dessus de l’orchestre et à travers lui : les moyens sont là, considérables, audibles dans un bas-médium chaleureux et denses. Quelque chose de stable, de marmoréen, asseoit ce chant, et physiquement ce sont ces pommettes, résonateurs par excellente, qui captent le son comme la lumière. L’orchestre que dirige Saraste n’est pourtant pas un orchestre franchement straussien – du moins du dernier Strauss. Souple, chantant, coloré, c’est un orchestre idéal pour le répertoire classique, comme le démontre dans Beethoven une énergie remarquable, avare cependant de tout élan post-romantique, préférant l’impétuosité à l’épanchement. Abbado au disque offrit à Mattila un tout autre écrin, mais la maturation, l’intériorisation de ces lieder n’étaient pas à ce point abouties. [Sylvain Fort]
Récital Karita Mattila – Richard Strauss : Vier Letzte Lieder ; Ludwig van Beethoven : Ouverture d’Egmont ; Symphonie n°5 ; WDR Sinfonieorchester Köln ; Jukka-Pekka Saraste (direction) ; Salle Pleyel, 17 septembre 2013, 20h