Il y aura l’an prochain cent-cinquante ans que mourait à Neuilly-sur-Seine la cantatrice Fanny Persiani. Née Fanny Tacchinardi à Rome en 1812, elle devint la cantatrice préférée de Donizetti, qui lui confia la première de Rosmonda d’Inghilterra avec Duprez à Florence en 1834, et de Pia de’ Tolomei à Venise en 1837, mais c’est surtout comme créatrice de Lucia di Lammermoor au San Carlo de Naples en 1835, toujours aux côtés de Duprez, qu’elle devait entrer dans l’histoire. Son rôle fétiche lui permit de se produire à travers toute l’Europe. En 1859, sentant qu’elle perdait sa voix, elle s’établit à Paris et se consacra à l’enseignement avec son époux. Lorsqu’elle mourut à l’âge de cinquante-cinq ans, elle fut inhumée au cimetière de Neuilly. Preuve de sa notoriété, c’est grâce à elle que Karl Marx en vient à parler d’opéra, dans L’Idéologie allemande :
« La Persiani est une cantatrice incomparable précisément parce qu’elle est cantatrice et qu’on la compare à d’autres cantatrices, comparaison faite par des oreilles normalement constitutées et musicalement cultivées, aptes à reconnaître ce que cette voix a d’incomparable. Ce que l’on ne peut comparer, c’est le chant de la Persiani et le coassement d’une grenouille, encore qu’une comparaison puisse se concevoir même dans ce cas ; toutefois, ce serait une comparaison non entre la Persiani et telle grenouille unique, mais entre ‘être humain’ et ‘grenouille’. Dans le premier cas seulement, on peut parler de comparaison entre individus ; dans le second, celle-ci conerne leur espèce ou nature générique. Il y a une troisième sorte d’incomparabilité : le chant de la Persiani et la queue d’une comète […] Pourtant, même cette comparaison absurde possède quelque réalité dans l’absurdité des conditions sociales de ce temps. L’argent est l’étalon commun de toutes choses, même des plus hétérogènes ».