Au lendemain des attentats de Bruxelles, la Passion selon Saint Matthieu tant attendue a bien failli ne pas avoir lieu. Mais John Eliot Gardiner tenait absolument à maintenir son engagement, à lui donner sens, à offrir la musique, tout particulièrement celle de Bach, en réponse à l’horreur. Le public avait été dûment contrôlé à l’entrée, dans une atmosphère calme mais un peu électrique tout de même et le dispositif était en place : deux orgues, un clavecin, deux chœurs (Monteverdi Choir) plus les enfants (Netherlands Youth Choir), deux orchestres (English Baroque Soloists) et dans la salle archicomble, une émotion palpable dès avant le début du spectacle. Quelques mots d’introduction pour rappeler que la musique de Bach a cette capacité singulière de nous tendre les bras à tous, une minute de silence à la mémoire des victimes, puis le spectacle reprend ses droits et le premier chœur, qui résonne alors comme un hymne à la vie, vous chavire l’âme.
Seul l’évangéliste et le Christ sont clairement identifiés. Quatorze solistes issus du chœur se répartissent les airs chantés et les petites interventions des différents protagonistes. Tous chantent entièrement de mémoire, de l’évangéliste au choriste du dernier rang, et n’ont d’yeux que pour le chef.
Cette façon de procéder, qui fait furieusement penser au Jardin des voix de William Christie, a ses avantages et ses inconvénients. Elle permet une très grande cohérence, une très grande précision et des effets impressionnants, comme lorsque le chœur chante un choral pianissimo, sculptant la matière sonore aux limites de l’audible, renvoyant chaque spectateur à son dialogue intérieur. Mais ces jeunes voix, appliquées, dociles n’ont pas encore toujours beaucoup de personnalité, pas toujours non plus le volume suffisant pour remplir la grande salle du Palais des Beaux Arts. En revanche, elles constituent pour le chef un matériau d’une rare souplesse qui lui permet de tout contrôler, de tout infléchir à sa guise. Il en résulte une interprétation très homogène, empreinte de simplicité et de grandeur, mais parfois en butte aux difficultés techniques de la partition, subtilement esquivées, et insuffisamment personnalisée. Stéphan Loges, dans cette même veine de simplicité et d’humanité, campe un Christ très incarné, très proche et très émouvant ; la voix est belle, sans trop de profondeur cependant. Seul Mark Padmore, éblouissant et souverain, imprime une marque personnelle à son rôle d’évangéliste, et en livre une interprétation à la fois narrative, tragique et théâtrale, toujours profondément humaine, sans concession, d’une étonnante intensité dramatique, avec une adéquation au texte absolument remarquable. Le public lui offrira une standing ovation bien méritée.
Le même spectacle sera donné demain 25 mars à la Philharmonie de Paris.