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Angela Denoke : “Je suis quelqu’un qui n’a pas d’a priori”

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Interview
29 décembre 2008

Infos sur l’œuvre

Détails

Disons-le d’emblée, cette interview prévue de longue date, a bien failli ne pas avoir lieu. Le retard involontaire de votre serviteur et la lassitude compréhensible de la soprano auraient dû lui être fatal : ils se sont pourtant mués en une rencontre fructueuse et empreinte de franchise. Née à Stade près de Hambourg en 1961, Angela Denoke, bien que fréquemment invitée à Paris, demeure une artiste discrète, appréciée des chefs et des metteurs en scène qui connaissent sa versatilité vocale et son engagement dramatique. Après avoir chanté au Châtelet Die Tote Stadt de Korngold et à l’Opéra de Paris Katia Kabanova, Cardillac, Wozzeck, L’affaire Makropoulos et Parsifal, elle vient d’interpréter Fidelio avec Jonas Kaufmann, un spectacle créé par Johan Simons, dirigé par Sylvain Cambreling. Que ses admirateurs se rassurent, elle sera à nouveau dans la capitale en mai prochain, sur la scène de la Bastille, pour une reprise de L’affaire Makropoulos de Janacek conçue par le polonais Krzystof Warlikowski, puis le 28 juin en récital au Palais Garnier, où elle chantera un bouquet de chansons signées Cole Porter, Kurt Weill, Friedrich Hollaender et Ira Gershwin.

     

 

  

 

Vous fréquentez Paris depuis bientôt dix ans et y avez chanté Berg, Janacek, Hindemith et Wagner. Vous voici à nouveau au Palais Garnier pour interpréter Fidelio. Comment définiriez-vous votre voix ?

 

Oh la la, je serai bien incapable de vous le dire, car je ne sais pas comment les autres perçoivent justement le son de ma voix. Il m’est très difficile d’imaginer de quelle manière elle leur arrive aux oreilles. Pouvoir se dédoubler, s’étudier de ce point de vue, est un exercice très complexe. Je suis certaine que le public ou vous-même, seriez plus habilités à répondre à cette question.

 

Le rôle de Leonore est réputé pour son écriture vocale complexe, mi-soprano, mi mezzo, un rôle qui a été défendu par le passé par Flagstad, Mödl, Rysanek, Ludwig, Janowitz, Behrens et aujourd’hui par Meier ou Mattila. De quelle manière aborde-t-on un tel personnage : faut-il suivre une préparation particulière ?

 

Un rôle aussi périlleux que celui-ci nécessite en effet une préparation adaptée, sans quoi les risques encourus s’avèrent trop grands. Beethoven a imaginé une écriture qui alterne de nombreux passages extrêmement lyriques, proches du style mozartien et qui demandent une conduite vocale très soignée, avec d’autres tout à coup très dramatiques, où le chanteur a tout juste le temps de reprendre son souffle. Ces changements sont effrayants car ils réclament une attention de chaque instant, certains pouvant intervenir dans une phrase débutée plus calmement : les grands ensembles sont composés de la même manière, une grande envolée pouvant être interrompue par une accélération imprévisible.

 

Vous êtes, parait-il, une grande lectrice et avez dit qu’il était non seulement important pour vous de connaître le livret, mais surtout les antécédents littéraires quand il y en a : pour Fidelio avez-vous lu la pièce de Jean-Nicolas Bouilly à partir de laquelle a été tiré l’opéra?

 

Non, justement pas (rires) ! C’est seulement la seconde fois que j’interprète cet opéra à la scène*. En 2003 à Salzbourg, la version retenue comprenait les dialogues parlés traditionnels du librettiste Joseph von Sonnleithner, tandis qu’à Paris, les textes ont été entièrement réécrits et confiés à Martin Mosebach, qui a choisi de les rendre plus actuels pour coller aux événements que nous connaissons tous et à la vision moderne voulue par le metteur en scène Johan Simons.

 

A Paris comme ailleurs, l’attention que vous accordez au jeu en plus de la musique est connue. La conception du personnage de Leonore défendue par Johan Simons a-t-elle coïncidé avec la vôtre?

 

N’étant pas une artiste qui arrive sur le plateau avec des idées toutes faites, des conceptions déterminées, ou des schémas arrêtés sur une œuvre ou un rôle, il m’est très facile de me mettre au travail et d’écouter les propositions des metteurs en scène. Je suis quelqu’un qui n’a pas d’a priori, de très ouvert et qui apprécie énormément le dialogue. Cette attitude me permet d’être très réceptive, de me sentir à l’écoute et d’avancer : c’est très salvateur. Pour Fidelio, Johan Simons souhaitait un personnage un peu dur, presque froid, mais capable de dégager une grande vivacité, une énergie très forte. Cela m’a demandé beaucoup de travail, d’autant que je n’étais au mieux de mes conditions physiques et que j’ai dû lutter pour venir à bout de ce rôle tout en restant crédible.

 

L’opéra permet aux interprètes de changer de caractère, de physique ou de sexe : Fidelio est sans doute le rôle travesti le plus complet avec Oktavian (Der Rosenkavalier). Comment avez-vous travaillé cette problématique et quelles difficultés avez-vous rencontrées?

 

Pour moi cela ne doit pas poser de problème : il faut faire passer les choses de façon très simple, sans chercher d’attitudes particulières qui risqueraient de souligner au lieu d’esquisser : tout est dans l’art de la suggestion. Qu’un interprète soit grand, mince, gros ou petit, il doit exprimer des émotions sans que son physique soit une entrave. Dans le cas de Fidelio, le public sait qu’il a devant lui une cantatrice en train de faire croire qu’elle est un homme et que le personnage qu’elle interprète doit faire passer sa supercherie pour la réalité. J’essaie d’être juste, sans avoir recours à d’artifices, en me sentant à tout moment une femme en train de jouer à être un homme. C’est une question d’équilibre.

 

Vous faites partie de ces cantatrices très appréciées par Gérard Mortier depuis Salzbourg, avec Waltraud Meier et Deborah Polaski. Quels rapports entretiennent en général les chanteurs avec les directeurs de salle. Peut-on parler de dialogue entre eux?

 

Oui, absolument ! Mais cela ne va pas durer. Pour être franche je vous dirais que ce dialogue n’existe qu’avec Gérard Mortier, qui n’est pas un directeur comme les autres. Il ne conçoit pas l’opéra comme tout le monde, mais réfléchit à des projets de manière plus globale. Il aime constituer des équipes, rassembler des artistes venus d’univers différents, mettre en relation, inventer des distributions en fonction des personnalités, des timbres, des caractéristiques de chacun, ce qui peut agacer, certes, mais qui peut également se révéler passionnant. On peut lui reprocher d’avoir des idées arrêtées, mais en aucun cas imaginer qu’il ne prend pas sa mission au sérieux. Lorsque l’on se retrouve sur une production dont il est à l’origine, nous nous retrouvons un peu comme en famille : c’est très particulier.

 

Vous chanterez à nouveau L’affaire Makropoulos sur la scène de la Bastille en mai prochain dans la mise en scène de Krzystof Warlikovski. Aimez-vous jouer plusieurs fois dans la même production ?

 

Oui il est toujours très intéressant d’approfondir un rôle, surtout avec un spectacle aussi riche que celui qu’a signé Warlikowski. Après Paris cette production a été représentée à Madrid, ce qui veut dire que nous la connaissons encore mieux. Je vais vous raconter une anecdote à ce propos : pendant que nous répétions en Espagne, j’ai eu envie de changer certains détails, de suivre une autre direction, d’étudier un autre aspect du personnage, sans prévenir Warlikovski. Puis j’ai discuté avec lui pour connaître sa réaction et il m’a dit avec un naturel désarmant que j’avais raison, car si je l’avais fait c’était pour le bien de la mise en scène et parce que le personnage que j’incarne m’y avait poussé. Cela m’a procuré une grande satisfaction.

 

Pouvez-vous nous parler de votre récital du 28 juin 2009 à Garnier, « From Babelsberg to Beverly Hills », où vous allez quitter vos héroïnes habituelles pour interpréter un autre répertoire?

 

J’avais très envie de m’éloigner un moment de l’opéra et de chanter des mélodies plus légères, pour m’amuser. J’ai eu un jour l’opportunité de rencontrer des musiciens d’orchestre en Allemagne, qui jouent également en formation réduite et leur ai proposé de m’accompagner dans des chansons de Marlene Dietrich. Ils ont accepté et le résultat nous a paru intéressant. Puis j’ai participé à un hommage à Kurt Weill, des expériences qui m’ont donné envie d’aller plus loin et de construire un programme au cours duquel je pourrai mélanger les œuvres. C’est ce que vous entendrez en juin prochain.

 

Pour vous avoir vue dans des mises en scène signées Marthaler ou Warlikovski, créateurs avant-gardistes, j’ai peine à vous imaginer dans des spectacles « traditionnels ». Dans quel état d’esprit êtes-vous lorsque la proposition scénique est faible ou inexistante?

 

Mais vous savez, lorsque l’on répète, on ne sait jamais si le spectacle sera bon ou mauvais, il faut attendre le verdict du public : c’est lui qui décide. Avec des personnalités comme celles que vous avez citées, le public attend toujours quelque chose de particulier, un scandale, ce qui met la barre très haut. Je me souviens très bien de l’accueil réservé le soir de la première de Katia Kabanova réglée par Marthaler ici à Paris : terrible. Nous étions tous très étonnés, car à Salzbourg, tout c’était déroulé sans difficulté. Puis à la seconde, le public avait totalement changé et les huées ont fait place aux bravos. Il faut vraiment se méfier, chaque soir est différent et ceci est valable pour nous qui sommes des êtres humains, qui essayons de donner le maximum : parfois nous ne sommes pas en mesure de lutter contre la fatigue, le stress, la maladie, que sais-je ?

 

Vous vous êtes déjà mesurée à Salomé et à Kundry, deux tessitures très différentes. Quel est le rôle dont vous rêvez ?

 

Isolde bien sur ! On me l’a déjà proposée, mais je préfère patienter encore un peu. Je sais que si j’accepte un tel défi sans être parfaitement préparée, je vais courir des risques et je n’y tiens pas. Plus qu’une mise en scène « révolutionnaire », j’aurai besoin pour cette partition d’un très bon chef, qui saura m’accompagner et soutenir ma voix, sans que celle-ci soit écrasée par la masse orchestrale. Cet élément est primordial et pèsera beaucoup dans ma décision.

 

Paris est depuis dix ans l’un de vos ports d’attache : peut-on savoir ce que vous y trouvé de particulier, d’insolite par rapport aux autres capitales culturelles que vous connaissez?

 

Oh, c’est difficile à expliquer, car toutes les capitales ont quelque chose d’unique et les sensations que nous en avons sont différentes. J’étais hier à Milan pour discuter de L’affaire Makropoulos que je reprendrai bientôt à la Scala, une ville italienne extrêmement vivante, stimulante, où l’on voit des gens boire du café aux bars. A Paris les gens sont pressés, semblent toujours courir après quelque chose ou quelqu’un : c’est très amusant.

 

Avec le recul quels ont été les conseils les plus utiles que vous avez reçus en commençant votre carrière et qui vous accompagnent depuis ?

 

Je garde en mémoire les conseils que m’a prodigué un jour Claudio Abbado, lorsque j’ai débuté à Salzbourg avec Marie de Wozzeck. Pendant les répétitions je cherchais continuellement des choses, prenant du temps sur certaines phrases, accentuant certains détails en me demandant si ces variations même infimes, satisferaient le maestro et à chaque fois il venait me voir et me disait : « Tu dois avoir confiance en toi, cherches ton chemin et je te suivrais quoiqu’il arrive. Si tu te trompes, ne t’en fais pas, on te le dira ! » J’avoue que cela m’a été très utile et j’y pense encore souvent.

 

 

Propos recueillis et traduits de l’anglais par François Lesueur,

 le 18 décembre 2008.

 

*la première fois à Salzbourg avec Simon Rattle et le Berliner Philharmoniker (EMI).

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