A l’époque, en 1955, la photo de Maria Callas fulminant contre l’U.S.Marshal Stanley Pringle avait fait le tour du monde. Prise dans les coulisses du Civic Opera House de Chicago, elle accrédita longtemps l’image négative d’une diva, véritable tigresse. Mais le prédateur n’est pas celui qu’on croit. Il n’est d’ailleurs pas sur le cliché.
En 1945, Maria Callas retourne aux Etats-unis où elle avait passé une partie de sa jeunesse. Elle avait fait ses débuts à Athènes et y avait chanté dès 1938, à l’âge de 15 ans, mais la jalousie de ses confrères, et le souvenir brûlant des années d’occupation, la décident à s’expatrier. Le soprano auditionne pour le Met mais refuse les rôles qu’on lui propose, Fidelio (parce que c’est en anglais) et Madama Butterfly (pour lequel elle se juge trop grosse). A la même époque, deux imprésarios, Ottavio Scotto et Edward Richard Bagarozy, fondent une compagnie d’opéra itinérante. Callas doit chanter le rôle-titre de Turandot à Chicago, mais le projet échoue sur des questions financières. La petite troupe devra se contenter d’un concert au piano. Quelques mois plus tard, Bagarozy intervient, dit-il, pour faire engager Callas aux Arènes de Vérone dans le rôle de Gioconda pour la saison 1947. Pour l’occasion, il réussit à écarter Herva Nelli initialement pressentie, en lui proposant de l’argent pour qu’elle se dédie. Il empochera 10% des cachets de Callas, après lui avoir fait signer un contrat d’impresario. A l’époque, la soprano célibataire est amoureuse de Bagarozy et ne fait pas trop attention à ce qu’elle signe. C’est à Vérone cette année là que Callas rencontre Giovanbattista Meneghini qui allait devenir son premier mari.
Les années passent. Callas auditionne à la Scala, débute à Venise, Rome, Trieste, Gênes, Turin, Florence… En 1949, elle fait une saison au Colón selon un usage local de l’époque. En 1950, elle effectue de même une première saison à Mexico, débute à Naples et à la Scala, rencontre Arturo Toscanini… Pendant toutes ces années, on n’entend plus parler de Bagarozy mais Callas revient à Chicago en 1954. Elle y chante Norma aux côtés de Giulietta Simionato. La série est un triomphe. Le 4 novembre, Callas est informée d’une procédure à son encontre de la part de Bagarozy qui lui réclame 300 000 dollars d’honoraires. Il affirme en avoir dépensé 85 000 pour promouvoir son artiste. Une audience est posée quatre jours plus tard, alors que Callas doit chanter La Traviata. Le soprano ne s’y présente pas et l’affaire semble s’arrêter là. Callas quitte la ville après une série de Lucia di Lammermoor.
Callas retourne à Chicago en octobre 1955. Elle y chante I Puritani (avec Giuseppe Di Stefano), Il Trovatore (aux côtés de Jussi Björling) et, pour la première et dernière fois à la scène, Madama Butterfly. A l’issue de sa dernière représentation, le 17 novembre 1955, le Marshal Stanley Pringle, accompagné d’une demi douzaine de shérifs, essaie de fendre la foule des admirateurs de la diva. Il est porteur de deux assignations établies à la demande de Bagarozy et doit les remettre à la chanteuse : légalement, il lui suffira de toucher le kimono de Butterfly avec ses actes ! Post coïtum animal triste : le Marshall s’en va, l’air morne, son devoir accompli, accompagné des imprécations de Callas et de ses admirateurs. Enfermée dans sa loge, la chanteuse ne décolère pas : « J’ai la voix d’un ange, personne ne peut me signifier une assignation ». La soprano en voudra toujours à la direction du Lyric Opera de ne pas avoir su la protéger pour l’occasion et ne reviendra à Chicago que pour un simple gala, après avoir annulé sa participation à la saison suivante.
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Les audiences sont renvoyées plusieurs fois à tel point que le juge s’emporte de devoir s’incliner devant l’agenda chargé de Callas ! Au fur et à mesure, on découvre que le charmant Bagarozy a cédé son contrat à un tiers, qu’il n’avait aucune licence d’agent au moment de la signature de celui-ci et qu’il a essayé de vendre pour 30 000 dollars les lettres tendres que Maria lui avait adressées. On comprendra également que l’homme était plutôt un escroc : pour La Gioconda, le directeur des Arènes (l’ancien ténor Giovanni Zenatello) avait envoyé une lettre d’engagement dès avril 47 et un contrat en bonne et due forme quelques jours avant celui de Bagarozy ! Les avocats de Callas mettent en avant un arrangement à 4 000 dollars entre l’agent et la basse Nicola Rossi Lemeni qui avait signé un contrat similaire. Lassée de ces incessantes convocations, Callas finira par accepter un arrangement à l’amiable, quatre jours avant ses fameuses représentations de 1957 à l’Opéra de Dallas.
L’affaire Callas compte au moins un précédent : Carlo Albani. Ténor franco-italien né en 1872, Albani chante dans les théâtres des provinces françaises. Il décide de tenter sa chance en Amérique et il y émigre en 1907. Il doit faire ses débuts en Manrico du Trovatore, puis dans Ernani, au Manhattan Opera. Après une répétition, il affirme être malade et se désiste. Pour l’anecote, précisons que le directeur de ladite compagnie est Oscar Hammerstein, grand-père d’Oscar Hammerstein II, librettiste du duo Rodgers and Hammerstein à qui l’on doit Carousel, South Pacific, The King and I, et The Sound of Music. Il découvre que son ténor est en pleine forme à Boston, chantant… Manrico pour le San Carlo Opera (à cette époque, cette compagnie n’a plus aucun rapport avec le San Carlo de Naples qui avait fait une tournée à Boston en 1904). Hammerstein porte plainte et un agent est dépêché pour arrêter le chanteur sur scène. L’officier de police se cache derrière un arbre en carton, un praticable, aussitôt dénoncé par le public en joie qui siffle chacune de ses apparitions, dans une scène qui annonce les Marx Brothers dans A night at the opera ! Un arrangement est trouvé pour attendre la fin de la représentation. La carrière américaine d’Albani s’achève ce soir là, et le ténor reviendra avec succès cette fois, dans quelques-uns des grands théâtres d’Europe.
Le 28 octobre 2004, le chef d’orchestre Daniel Oren connut une mésaventure similaire et fut arrêté à la sortie d’une représentation de La Bohème au Metropolitan Opera, contraint de passer la nuit au poste. Sa seconde ex-femme avait en effet entamé en Italie une procédure pour lui réclamer 100 000 dollars d’arriérés, et le chef d’orchestre avait « oublié » de se rendre à l’audience convoquée quelques jours plus tôt à New-York. On ne plaisante pas avec ça aux Etats-unis !