Quelques jours à peine après la parution d’« Amadè », son nouvel album entièrement consacré à Mozart, Julie Fuchs nous donnait rendez-vous au Théâtre des Champs-Elysées pour une soirée conçue comme un hommage au compositeur salzbourgeois. La soprano, que l’on a vue par le passé briller sur scène en Pamina, Susanna ou encore en Zerlina, a choisi pour cette occasion un programme particulièrement original et ponctué de surprises.
En première partie, ce sont ainsi des œuvres composées par Mozart pour Nancy Storace, créatrice du rôle de Susanna, qui sont mises à l’honneur. Après une ouverture des Nozze di Figaro virevoltante mais non exempte de quelques dérapages, c’est une Julie Fuchs rayonnante qui entre en scène pour interpréter « Deh, vieni, non tardar », extrait du même opéra. Rejointe par un premier invité surprise, le baryton-basse Edwin Crossley-Mercer, elle se montre ensuite mutine et pétillante à souhait dans le « Là ci darem la mano » de Don Giovanni. Un bel intermède musical suivra avec les Contredanses K.609, qui témoignent d’un pan entier de l’œuvre de Mozart trop rarement donné en concert.
Un magnifique dialogue avec le pianoforte de Francesco Corti
Mais c’est avec l’air « Ch’io mi scordi di te… Non temer, amato bene », composé par Mozart pour « Mlle Storace et moi » en 1787, que le concert prend véritablement son envol. Dans ce dialogue exquis entre la voix et le clavier, le pianoforte obligato de Francesco Corti, autre invité surprise de la soirée, sait se montrer à la fois subtil et inventif, grâce à une superbe ornementation. Quant à Julie Fuchs, on la sent comme habitée dès le récitatif accompagné. Dans cette aria qui a mis en difficulté plus d’une cantatrice, elle fait montre d’une grande maîtrise technique (quel souffle !) et d’un sens scénique particulièrement touchant lorsqu’au délicatement murmuré « Tu sospiri » répond la douloureuse plainte du pianoforte.
© Gérard Uféras
Un gosier digne de la Cavalieri
En deuxième partie, c’est à Caterina Cavalieri, créatrice du rôle de Konstanze dans l’Enlèvement au sérail, que Julie Fuchs rend hommage avec deux airs particulièrement périlleux et qui furent composés pour mettre en valeur le fameux « agile gosier » de la cantatrice. Plus encore qu’au disque, la soprano française y est stupéfiante d’aisance et de virtuosité. Un souffle infini et une maitrise des coloratures lui permettent de triompher sans peine du « Ach, ich liebte » de l’Enlèvement. Dans l’aria « Tra l’oscure ombre funeste », extrait de l’oratorio Davide penitente, Julie Fuchs, dont la voix a gagné en profondeur dans le grave et le médium, livre comme il se doit un très sombre andante introductif avant d’enchainer de glorieuses vocalises.
Au cours de cette deuxième partie, l’ensemble Les Siècles, dirigé avec poigne au premier violon par Kati Debretzeni, s’illustre également par une impeccable version de la Symphonie n° 25 K. 183, avec les accents Sturm und Drang qui siéent à cette œuvre passionnée. On soulignera toutefois que l’orchestre, davantage à son aise dans le répertoire romantique ou moderne, ne possède pas les couleurs du Balthasar Neumann Ensemble retenu pour accompagner Julie Fuchs dans son nouvel album.
Ce beau récital confirme l’adéquation complète de la voix et de la personnalité de Julie Fuchs avec le répertoire mozartien. Alors qu’on pouvait lui reprocher, dans ses deux derniers disques consacrés à Mozart (Mitridate dirigé par Minkowski, et l’ « Amadé » précité), une certaine froideur dans l’interprétation, la scène lui permet au contraire de faire preuve d’une grande présence et d’un entrain qu’elle sait communiquer au public. L’évolution naturelle de sa voix la dirigeant probablement vers d’autres rôles mozartiens, c’est maintenant en Donna Anna, Donna Elvira ou Elettra que l’on souhaite entendre Julie Fuchs !