Dans sa liste de rééditions, le label Sony Classical a choisi d’intégrer la gravure du doublé Combattimento/Ballo de Monteverdi dans la version de Jean-Claude Malgoire, initialement parue chez CBS Records. Une réédition qui vaut le détour, ne serait-ce que pour écouter à nouveau les merveilleuses proposition de la Grande Écurie et la Chambre du Roy dans ce Bal des ingrats.
Le principal avantage de cet enregistrement est sans doute le choix soigneux des chanteurs. Dans le Combattimento di Tancredi e Clorinda, András Laczó est un Testo assez inhabituel, mais pas forcément hors de propos. Son interprétation se veut dramatique et contrastée, ce qui ne donne que plus de relief aux exclamations de douleur du narrateur. En revanche, les passages en stile concitato lui réussissent moins bien, le ténor se voyant mis en difficulté notamment par la grande quantité de texte à débiter. Isabelle Poulenard n’est pas la meilleure Clorinda du répertoire, mais sa sensibilité musicale convient parfaitement à la tendresse du rôle (« Amico, hai vinto… »). Philippe Cantor tire honorablement son épingle du jeu en Tancredi.
Jouant pourtant en terrain connu, la Grande Écurie et la Chambre du Roy ne semble pas tirer le meilleur de l’instrumentation déjà si particulière de Monteverdi. Les passages en concitato manquent de dynamisme et de saveur, ne restituant qu’à moitié l’atmosphère belliqueuse du combat.
Fort heureusement, les choses tournent pour le mieux dans le Ballo delle ingrate. Partition moins connue que la précédente, elle illustre le bal des âmes ingrates en amour, condamnées à souffrir pour l’éternité au royaume de Pluton. Dans une ritournelle aux dissonances à la fois grinçantes, expressives et surtout audacieuses pour l’époque, le Monteverdi-madrigaliste rend compte de la douleur physique et psychiques de ces âmes condamnées. Les musiciens semblent bien plus inspirés par cette danse blessée, ménageant à chaque dissonance une place particulière, et on ne s’ennuie jamais malgré les nombreuses reprises de ce bal.
C’est surtout ici que s’illustre le talent de Jean-Claude Malgoire à choisir des voix appropriées au rôles. L’Amour de Dominique Visse déroute d’abord par son timbre toujours aussi surprenant, mais la musique l’emporte sur la surprise. Le mezzo de Colette Alliot-Lugaz drape le rôle de Vénus d’un drame expressif et sévère, tandis que la basse virtuose de Gregory Reinhart allie de manière surprenante générosité de timbre et agilité sur l’ensemble de la tessiture vertigineuse. Les quatre ingrates complètent merveilleusement la distribution, clôturant le bal par un chœur de lamentations qui ne laisserait personne de marbre.