Giovanni Paisiello est depuis sept ans l’un des principaux compositeurs de la Cour impériale de Saint-Pétersbourg lorsque le roi de Naples, Ferdinand IV, l’appelle auprès de lui pour en faire son premier compositeur d’opéras. Né à Tarente dans les Pouilles, Paisiello avait fait ses études musicales au Conservatoire de la capitale du royaume, où il s’était établi avant son départ pour la Russie. C’est sur le chemin du retour que le prolifique compositeur (90 opéras tout de même) présente au Burgtheater de Vienne son dernier né, Il Rè Teodoro in Venezia. Le livret de ce « Dramma eroicomico » selon sa curieuse appellation, élaboré par Giovanni Battista Casti, met en scène Théodore Ier… roi de Corse ! Mais oui, il a vraiment existé.
Théodore, baron de Neuhoff , né à Cologne d’un père issu de la noblesse de Westphalie et d’une mère luxembourgeoise, était un soldat-diplomate un peu aventurier qui a bourlingué un peu partout en Europe. Or, depuis 1729 (et jusqu’à la vente de l’île à la France en 1768.. un an avant la naissance de Napoléon), les Corses étaient en guerre contre Gênes, qui possédait l’île. Neuhoff s’intéressait à ces révolutionnaires et épousera leur cause, jusqu’à être élu à Alesani roi constitutionnel de l’île en avril 1736. Ce roi et son royaume autoproclamé ne furent reconnus par personne. Il partira chercher de l’aide jusqu’en Angleterre – qui y consentira – mais il ne pourra jamais reprendre pied sur l’île et mourra dans le dénuement à Londres en 1756.
L’opéra de Paisiello imagine donc que ce drôle de personnage se rend à Venise (ou plutôt s’y enfuit), couvert de dettes, avec son ministre Gafforio comme à peu près seul appui, avec qui il invente toutes sortes de malversations pour garder quelque contenance. Il rencontre la jolie Lisetta, fille d’un aubergiste, Taddeo. Evidemment, il en tombe éperdument et sincèrement amoureux. Il finit par dire qu’il est un roi pour impressionner l’aubergiste, qui l’est en effet. Mais au moment du mariage, la police débarque et arrête le pauvre Théodore, accusé d’une très longue liste de méfaits. Tout le monde va le voir en prison pour le consoler et la morale de l’histoire est que la roue tourne pour tout le monde. Un jour on est en haut et l’autre en bas et tout finit dans un murmure assez étonnant.
L’œuvre de Paisiello rencontre un très grand succès à Vienne, où Mozart assistera à une représentation, et l’on dit que Haydn s’intéressait aussi de très près à la partition. De cette partition virtuose et ambitieuse, voici le délicieux finale, dans une (rare) captation à peu près correcte du festival de Dresde, dans un spectacle coproduit il y a une vingtaine d’années par la Fenice de Venise, justement, avec André Cognet dans le rôle de Théodore et sous la baguette d’Isaac Karabtchevsky.