Tout comme en littérature, c’est un natif d’Aix-en-Provence qui sut exalter la poésie des mines du Nord, c’est en musique un natif de Nice qui devait chanter le gloire des mineurs. Ce Chant de la mine, sorte de Germinal en musique, on le doit à un déraciné, Eugène Bozza. De père italien comme Zola, il avait vu le jour à Nice en 1905. Après une carrière internationale de violoniste, il fut Grand Prix de Rome en 1934. Chef d’orchestre de l’Opéra-Comique de 1939 à 1948, il fut ensuite directeur du Conservatoire de Valenciennes de 1950 à 1975 (l’institution porte son nom depuis 2016), et c’est là qu’il composa son « oratorio social » créée sous sa direction en 1956, avec 700 exécutants ! Egalement donnée à Lille et à Paris, l’œuvre semble avoir ensuite été bien oubliée, jusqu’au jour où elle fut recréée, toujours dans l’Athènes du Nord, la partition manuscrite étant toujours conservée à la Bibliothèque de Valenciennes…
Elève d’Henri Busser, Bozza composa trois opéras, dont un d’après La Duchesse de Langeais, de Balzac (1967). Le poète belge José Bruyr, auteur du texte du Chant de la mine, devait aussi lui fournir le livret de son opéra-bouffe Beppo ou le mort dont personne ne voulait (1963). Sa musique est un concentré d’influences variées, où l’on entend des réminiscences de Debussy et même des citations tout droit sorties de chez Ravel. La forme oratorio avec récitant (ici, Didier Kerckaert très engagé) rappelle inévitablement le Honegger de Jeanne au bûcher et l’évocation des machines renvoie à tout un courant musical du XXe siècle, russe notamment (Les Fonderies d’acier….) mais pas seulement. L’épisode de la ducasse renvoie au deuxième acte de La Bohème, aux scènes de liesse montmartroise de Louise et même de la Garde montante de Carmen pour les « Taratata » des enfants. Après la déploration des victimes du grisou, le « P’tit Quinquin » passe sur le mode mineur (c’est le cas de le dire). Sans crier au génie, il faut reconnaître que cette partition a été écrite par quelqu’un pour qui l’orchestration n’avait plus de secret. Le traitement des chœurs est intéressant, donnant dans le parlé rythmé pour l’introduction, intervenant tantôt bouche fermée, tantôt sur le texte, avec superpositions de rythme dans les grandes scènes de foule. Plus connu comme organiste et claveciniste, directeur du Centre de musique baroque de Versailles, Nicolas Bucher se souvient qu’il est natif de Lens pour diriger avec conviction cette œuvre délicieusement éclectique mais portée par une réelle émotion.
Quant au livret, il prend heureusement une forme infiniment plus souple que celle de la fameuse cantate du Prix de Rome, qui avait valu maints honneurs à Eugène Bozza. Après un appel à l’attention du public, l’œuvre s’ouvre par une évocation du chaos de la préhistoire, quand le charbon se forma dans le sol. C’est le moment où l’on entend « la voix du charbon », avec un Daniel Ottevaere aux couleurs adéquates mais au vibrato hélas très prononcé. Vient ensuite l’éveil de la nature, quand commence une journée de travail : Zoé Gosset réussit à être exquise et jamais mièvre dans les « Tireli » de l’Alouette. On entre dans le coron, et chez le mineur descendu à la fosse, l’Aïeule songeuse veille sur l’enfant au berceau : Sarah Laulan met son somptueux timbre grave au service de ce touchant personnage d’octogénaire. Après la fête et le coup de grisou fatal, le texte nous propulse une vingtaine d’années plus tard, quand l’enfant au berceau est à son tour devenu mineur. Dans un rôle bref mais au format héroïque, Sébastien Obrecht se lance à corps perdu sans se ménager le moins du monde.
Dommage que le label Indésens ait fait preuve d’une indéniable négligence dans son travail éditorial. On ne trouve nulle part le détail des plages – on sait juste qu’il y en a onze, la plus courte durant 30 secondes, la plus longue 12 minutes 30 – et il n’aurait pas été superflu de reproduire le texte de José Bruyr dans le livret d’accompagnement. Quant au texte signé René Dumesnil, on devine très vite qu’il a été écrit peu après la création de l’œuvre (le brave homme est décédé en 1967), mais on aurait bien aimé en connaître la provenance et la date exacte.