Avec leur dernier disque, les musiciens de l’Ensemble Orchestral Contemporain rendent un double hommage à la figure de Pierre Boulez. Le Marteau sans maître y célèbre un compositeur qui pose les jalons d’un nouveau langage musical, tandis que la B-Partita de Philippe Manoury doit beaucoup à l’Ircam, institution boulézienne par excellence.
Dans une préface au disque, Laurent Bayle rappelle les maîtres à penser du compositeur du Marteau : Debussy et Webern pour le timbre, Stravinsky pour le rythme. La partition fait moins table rase du passé que l’on ne le pense, et sa filiation se sent dans les choix musicaux de Daniel Kawka. Peut-être moins transparente que la version au disque du compositeur, celle-ci à l’avantage de ne se refuser aucune beauté plastique : les passages rythmiques tels que le « Commentaire III » révèlent tout le potentiel chambriste de l’effectif, tandis que la fin du « Bel édifice et les pressentiments double » nous plonge dans une couleur instrumentale presque irréelle.
Comme souvent, c’est avec le chant que surviennent les ennuis d’une interprétation du Marteau. Le principal responsable est sans doute le compositeur lui-même : le langage de ce Boulez-ci est avocal, et il est inutile de tricher. La prosodie n’a aucune espèce d’importance, puisque la magnifique prose de René Char n’est qu’un prétexte. De ce point de vue, Salomé Haller tire assez bien son épingle du jeu, en s’assurant de la limpidité parfaite du texte pour l’auditeur. Alors que la chanteuse se revendique soprano, ce sont les couleurs chaudes de son registre grave qui retiennent le plus notre attention. En effet, le haut-médium a nettement perdu en rondeur, et les rares aigus de la partition ne passent souvent qu’en tension.
La B-Partita est un hommage direct de Philippe Manoury au maître du Marteau. La filiation entre ce dernier et un compositeur ayant particulièrement fréquenté l’Ircam et l’Ensemble Intercontemporain semble évidente tant du point de vue musical qu’institutionnel.
Comme le rappelle Manoury, B-Partita est le fruit de l’extrapolation d’une œuvre musicale préexistante. Dans la continuité du travail de Berio sur les Sequenze devenues Chemins, le compositeur a adapté sa Partita II pour violon et électronique en y greffant un ensemble instrumental. La générosité instrumentale qui parcourt toute l’œuvre fait d’ailleurs davantage penser à Berio qu’à Boulez, et il faut au moins un soliste de la trempe de Gaël Rassaert pour en assumer la difficulté. On est tout d’abord séduit par les associations de timbres permises par la synthèse instrumentale et électronique. On se prend pourtant à souhaiter que l’ensemble quitte peu à peu son rôle d’écrin magnifique, et qu’il s’empare pleinement du discours. En clair : le procédé de composition voulu et expliqué par Manoury peine parfois à se renouveler.
L’excellence des instrumentistes de l’Ensemble Orchestral Contemporain et la direction vivifiante de Daniel Kawka assurent tout de même le succès de la pièce. La partition étant bien pensée pour l’ensemble et l’électronique, elle reste un modèle d’euphonie et de musique collective. Sa place prend tout son sens à côté de cette pierre d’angle d’instrumentation qu’est le Marteau sans maître.