On sait que l’idée de la Tétralogie vient de loin, chez Wagner. L’ensemble mettra presque 30 ans à mûrir et à se construire pour former ce grand tout créé en 1876 à Bayreuth. Mais que de péripéties dans cette longue période ! Si le livret de l’ensemble, y compris celui de la Walkyrie, est écrit au début des années 1850, le texte du second opus, mais 1ere « journée » du Ring après le prologue que constitue l’Or du Rhin, est bouclé en 1852. La composition de la partition s’étale de 1854 à 1856. Pour rappel, les Walkyries, ce sont les 9 filles que Wotan a eues avec quantités de maîtresses, ce que lui assène avec aigreur sa femme Fricka au IIe acte, d’ailleurs. La principale héroïne de l’opéra – et d’ailleurs du cycle – Brünnhilde, est la fille d’Erda, déesse du Savoir. C’est elle, LA Walkyrie.
Un an après la composition de la Walkyrie, Wagner piétine un peu pour écrire Siegfried et met tout le cycle de côté pour travailler à son Tristan, que suivront les Maîtres chanteurs. La pause durera, avec quelques reprises, plus de 7 ans.
Entretemps, cet éternel fuyard poursuivis par la vindicte de politiques rancuniers et surtout de créanciers, pose ses valises à Munich à l’invitation du roi Louis II de Bavière, son admirateur le plus passionné (voir l’article que nous avons consacré à cette relation). L’aventure de la future Tétralogie passionne évidemment le jeune roi, qui ne regarde pas à la dépense dès qu’il s’agit de son cher protégé. Il lui fait un pont d’or pour achever le cycle, si bien que le compositeur se remet (un peu) au travail sur le monument de sa vie dès 1864, timidement mais réellement.
Le problème, c’est que Louis II est davantage que passionné : il est exalté. Il ne peut pas attendre. Très dispendieux mécène de Wagner, ses exigences deviennent proportionnelles aux ponctions faites au Trésor – au grand dépit de ses ministres . Après avoir obtenu ou plutôt arraché que l’Or du Rhin fût créé, d’ailleurs sans aucun succès et sans Wagner le 22 septembre 1869, le roi veut à présent entendre la Walkyrie à toute force, et exige dès le 24 septembre qu’elle fût montée avant la fin de l’année 1869. Or, comme on sait, Wagner considère son cycle comme un tout qu’on ne peut pas et qu’on ne doit pas saucissonner. Il s’oppose furieusement à ce que la Walkyrie connaisse le même sort que l’Or du Rhin. Mais le roi passe outre. L’œuvre est donc créée voici 150 ans aujourd’hui dans une mise en scène sévèrement condamnée par Wagner qui y voit une « cochonnerie » et, à nouveau, en son absence. Plus cocasse encore : le roi lui-même ne s’y rend pas ! Mais pourtant, les 3 représentations sont un triomphe. Brahms, au demeurant très antiwagnérien, Liszt, Saint-Saëns et d’autres musiciens de renom se trouvent là et on raconte que Liszt a pleuré à chaudes larmes, sans qu’on sache très bien si c’était à cause de la musique de son gendre, ou de ces histoires d’adultère qui lui rappelaient celle de sa fille Cosima avec le compositeur… Mais laissons cela aux féroces commentateurs munichois de l’époque.
Succès ou pas, Wagner ne pardonnera pas à son protecteur et bienfaiteur d’avoir commis un tel crime à ses yeux. D’ailleurs Louis II ne s’arrête pas là et exige à présent de voir Siegfried, qui n’est pas encore achevé. Wagner cesse donc d’écrire et le fait savoir. Il quitte Munich et achèvera son grand œuvre selon son vœu, en profitant d’ailleurs toujours largement des fonds du Trésor bavarois, dans un endroit dédié à son art et à rien d’autre. Ce sera Bayreuth. Le roi et lui ne se parleront plus qu’épisodiquement pendant près de 10 ans, jusqu’à des retrouvailles tardives et émues.
Lorsqu’on parle de cette Walkyrie, comment ne pas penser à la fameuse chevauchée, devenue encore plus totémique grâce au cinéma. Mais il faut penser aussi aux interprètes du rôle écrasant que constitue Brünnhilde dans le cycle. Pour concilier les deux, voici un court extrait du début de l’acte II, dans lequel Brünnhilde part joyeusement accomplir la mission que lui a confiée son père Wotan : aller sauver son demi-frère Siegmund face à Hunding, le mari outragé de Sieglinde, amante du premier et qui est aussi sa sœur… Et c’est bien sûr le thème bien connu de la chevauchée qui structure son air.
C’est une Brünnhilde d’anthologie que je vous propose ici : Astrid Varnay, captée à Bayreuth sous la direction de Joseph Keilberth en 1952. Hojotoho !