En 1824, Rossini s’installe à Paris. Celui qui est considéré alors comme le plus grand compositeur de son temps a négocié une rente viagère avec l’administration de Louis XVIII en contrepartie de la composition d’ouvrages inédits et exclusifs pour la scène parisienne. L’accord sera maintes fois renégocié, après l’avènement de Charles X, puis celui de Louis-Philippe, les gouvernements successifs souhaitant faire des économies, et Rossini en faire le moins possible. Cette situation amènera le compositeur pésarais à composer Il Viaggio a Reims (1825) ouvrage de circonstance pour le couronnement de Charles X (deux représentations) et à confier à Scribe et Delestre-Poirson le soin de mettre de nouvelles paroles sur une musique la moins changée possible pour le réjouissant Comte Ory (1828). Le Siège de Corinthe, très inspiré de Maometto II (pour les mélodies sinon pour le style) est créé à l’Opéra de Paris en 1826. Puis, Moïse et Pharaon (tiré de Mosé in Egitto) triomphe en 1827. Guillaume Tell (1829) sera l’ultime sursaut de génie du compositeur qui cessa de composer pour le théâtre… mais se verra confirmer sa pension, bien qu’il fut loin d’avoir tenu ses engagements : on considéra qu’un ouvrage de la taille de Guillaume Tell en valait bien trois ! Avant de composer pour l’Opéra de Paris, Rossini avait commencé par apprendre à maîtriser le français, la musique française et le style de la déclamation. Dans ces nouveaux ouvrages, les fioritures sont allégées et sont employées à des fins plus dramatiques. Il est possible que nécessité ait fait loi, les chanteurs de l’Opéra n’ayant pas une grande réputation de virtuosité. Cela reste à discuter car ces partitions ne sont pas non plus des parties de plaisir. Toujours est-il que ces révisions, ainsi que le développement du rôle des chœurs, l’introduction de ballets, renouvelleront considérablement le style de l’opéra français de l’époque, annonçant les évolutions ultérieures de Meyerbeer et Halévy.
En 1983, Moïse et Pharaon inaugura le mandat, aussi éphèmère que flamboyant, de Massimo Bogiankino. La distribution de l’époque réunissait Samuel Ramey, Shirley Verrett, Cecilia Gasdia et autres pointures sous la baguette inspirée de Georges Prêtre, dans un production de Luca Ronconi reprise 20 ans plus tard à Milan : nous sommes bien loin de tels sommets. Le Moïse d’Alexey Birkus excelle dans la déclamation, la voix est intéressante et répond aux exigences de la partition, mais l’interprétation est par trop monolithique. Le français n’est pas irréprochable, les « s » étant prononcés comme « ss », ce qui donne des tournures surprenantes telles que « Grand Dieu ! fesses éclatées » au lieu de « Grand Dieu ! fais éclater ». La basse italienne Luca Dall’Amico est un jeune chanteur fort estimable. Malheureusement, il est ici largement dépassé par les exigences du rôle de Pharaon et ses aigus (une huitième plaie d’Egypte), plutôt adaptés aux moyens d’un baryton-basse. La diction est également peu compréhensible. L’Aménophis de Randall Bills est en revanche tout ce qu’il y a de plus excitant, composant sans problème avec une tessiture meurtrière et un ambitus important, se payant le luxe de variations bienvenues avec des vocalises rapides et toujours bien ciselées. On retrouve ces mêmes qualités belcantistes chez Silvia Dalla Benetta, avec un chant bien orné, mais également capable des inflections dramatiques les plus fines. L’Anai d’Elisa Balbo est là encore un choix de distribution discutable. Les qualités belcantistes, en particulier la vélocité et la qualité des vocalises sont bien là, mais le rôle est trop aigu pour le soprano, ce qui l’amène à des stridences répétées. Patrick Kabongo est un Eliezer au timbre agréable, techniquement impeccable. Les autres rôles sont très correctement tenus. Personnage capital dans cette version, le Chœur de chambre Górecki de Cracovie nous paru bien juvénile, presque scolaire. L’appproche des Virtuosi Brunensis est vive et alerte, très différente de celle des orchestres de l’Opéra de Paris ou de Milan, et peut-etre plus proche de l’esprit de la création. A la tête de la formation, le chef Fabrizio Maria Carminati impose un vrai sentiment d’urgence, avec un tempo souvent excitant. Les ensembles sont plutôt réussis, en particulier le finale de l’acte III, « Votre ardeur, votre foi chancelle ! », qui est proprement électrisant ! Notons que, contrairement à la représentation auquel assista notre confrère Maurice Salles, le cantique final est ici bien présent. La prise de son n’est pas fameuse, l’émission des chanteurs et l’écho variant avec leur position. Reste quel les enregistrements de l’ouvrage sont rares, ce qui donne un intérêt à cette édition, par ailleurs proposée à prix doux.