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Un jour, une création : 23 octobre 1901, Saint-Saëns ne mangera pas Orange

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23 octobre 2021
Un jour, une création : 23 octobre 1901, Saint-Saëns ne mangera pas Orange

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Au début du XXe siècle, les festivals prennent forme dans plusieurs villes du sud de la France. Béziers a pris une petite longueur d’avance depuis 1897 grâce à l’inauguration de ses nouvelles arènes, dans lesquelles Saint-Saëns avait créé l’année suivante son opéra Déjanire.

Face au succès remporté par ce type d’événement public, d’autres villes au riche patrimoine architectural se lancent. En 1900, ainsi, exhorté par les félibres provençaux, Orange pense réhabiliter son Théâtre antique, qui peut accueillir pas moins de 12 000 spectateurs dans un décor grandiose mais alors mal entretenu. Les promoteurs du festival rêvent ainsi d’une sorte de Bayreuth français qui deviendrait un rendez-vous incontournable.

Pour garantir le succès, on fait donc appel à des valeurs sûres en vue de monter un grand opéra historique, qui pourrait par exemple se passer à l’époque de la Rome antique, précisément au moment de la fondation du Théâtre antique, quitte à jouer un peu sur les faits historiques, ce qui permettrait d’épouser parfaitement le décor. Victorien Sardou est sollicité pour le livret et Pierre-Barthélémy Gheusi pour le mettre en vers. Pour la musique, après avoir pensé à Massenet, habitué de ce type de grand opéra, on se tourne vers Camille Saint-Saëns, 65 ans et monument à lui tout seul dans le paysage musical du tournant du siècle. Le précédent biterrois a sans doute compté dans le choix des concepteurs du festival. Mais le vieux compositeur renâcle. Il juge que le Théâtre antique est une « arène lugubre, sans décor ». Il faut dire qu’elle n’a pas bénéficié d’une restauration comme on a pu en voir depuis. Il ne distingue pas ce qu’il pourrait en faire, d’autant qu’il craint –déjà- les effets du mistral pour la musique. Et puis, il faut une œuvre assez brève pour permettre aux spectateurs de repartir le soir même pour Avignon, seule ville de la région ayant la capacité hôtelière pour accueillir les festivaliers. Du coup, incapables de tout garantir, les organisateurs promettent à tout le moins des ponts d’or au compositeur et une distribution de tout premier ordre. C’est tout juste s’ils ne lui jurent pas qu’ils ont obtenu de Jupiter et de Vulcain qu’ils aillent orager ailleurs ou d’Eole qu’il souffle dans une autre direction. 

« Bon, bon… » se dit peut-être Saint-Saëns, surtout attiré par le livret de Sardou et de Gheusi, intitulé Les Barbares. Il admire le premier et aime particulièrement les fresques historiques. Il donne donc son accord et les trois hommes commencent à travailler dès le printemps 1900. Mais leur élan s’arrête bien vite, car Sardou, malade et très sollicité, ne produit guère. Il apprécie de moins en moins de devoir rogner ses idées pour rester dans le cadre de la durée exigée. En décembre, on n’est nulle part, et Saint-Saëns, dont la santé est délicate, part comme tous les ans pour l’Algérie, d’où il ne revient qu’au printemps. Les trois comparses épisodiques traitent donc par correspondance pour avancer. Las ! C’est maintenant les organisateurs qui souhaitent renoncer, devant les exigences des librettistes et du compositeur en termes d’aménagement du Théâtre antique, d’accueil des artistes de l’Opéra de Paris (400 personnes en tout). Les aléas sont trop importants pour investir dans un tel projet.

C’est donc vers l’Opéra que l’on se tourne, ce qui oblige à (encore) remanier le livret. Sardou râle, Saint-Saëns grogne, les deux hommes se disputent, ont du mal à tomber d’accord… On perd des mois. Le pauvre Gheusi est littéralement écartelé entre les deux fortes personnalités. Il s’aperçoit que le compositeur – qui est aussi poète à l’occasion – a retouché ses propres vers. Il se plaint à Sardou qui demande à Saint-Saëns des explications. Celui-ci lui en donne dans ces termes : « Suis-je déraisonnable ? Je veux tout prévoir et ne pas être forcé de retripoter ma partition quand on la mettra en scène. Ce n’est pas comme pour une pièce où tout se fait en deux traits de plume. Evidemment, vous m’avez mal compris : il est impossible que vous ne soyez pas de mon avis ! ». Et le voilà qu’il refait même une partie du livret. Sardou explose et écrit à Gheusi : « J’écris à cet agité (…) Ce n’est pas une collaboration, c’est un combat ! ».

Finalement, Les Barbares sont enfin créés voici 120 ans aujourd’hui à l’Opéra de Paris. Toutes les tergiversations de sa genèse sont oubliées devant le mur d’éloges de la presse parisienne. Il faut dire que l’argument fait implicitement référence à la guerre de 1870 et à la perte de l’Alsace-Moselle, exaltant le patriotisme, ce à quoi Saint-Saëns ne pouvait être étranger, lui, le cofondateur en 1871, de la Société nationale de musique, conçue pour promouvoir les compositeurs et ouvrages français en réaction à la musique germanique.

Mais les compliments durent moins longtemps que les ruines antiques et il ne faut que quelques semaines pour que l’œuvre tombe totalement dans l’oubli, d’où elle ne sortira brièvement que bien plus tard, notamment grâce à l’enregistrement réalisé à Saint-Etienne sous les auspices du Palazzetto Bru Zane, et sous la direction de Laurent Campellone et dont voici un extrait. Catherine Hunold y interprète notamment Floria (décidément, Sardou aimait bien ce prénom…) avec l’orchestre symphonique de Saint-Etienne Loire, aux côtés du Marcomir d’Edgaras Montvidas.

 

 

 

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