Le destin tragique de Marie-Antoinette a-t-il occulté la place que la Reine de France occupe dans l’histoire de la musique ? Tout porte à le penser après la lecture du livre que lui consacre Patrick Barbier, déjà auteur chez Grasset d’un Farinelli et d’une Histoire des Castrats – entre autres.
Non que l’épouse de Louis XVI fût une compositrice contrariée, à l’exemple de Wilhelmine de Bayreuth (1709-1758) qui offrit une tragédie musicale – Argenore – à son mari pour son anniversaire. Son « œuvre » se limite à une romance, C’est mon ami, dont il n’est pas certain qu’elle soit l’auteure.
Mais avec Christoph Willibald Gluck comme maître de clavecin (prétendument, les sources sont lacunaires), et pour professeur d’italien Metastasio (1698-1782, poète dont les drames en vers irriguèrent ad nauseam l’opéra baroque), la princesse fut dès son plus jeune âge immergée dans le bain lyrique. La musique était un des piliers de l’éducation à la cour d’Autriche.
Arrivée en France en 1770 à l’âge de 14 ans, celle qui est alors appelée la Dauphine s’étourdit à Paris dans une succession ininterrompue de divertissements, parmi lesquels l’opéra, sis dans la nouvelle salle du Palais Royal, rebâtie après que le feu eut consumé la précédente en 1763. Lorsqu’un incendie en 1781 réduisit en cendres cette nouvelle salle, Marie-Antoinette, devenue Reine, continua de fréquenter le Théâtre de la Porte Saint-Martin où l’Académie Royale de Musique s’était réfugiée (et demeurera jusqu’en 1794).
A Versailles à partir de 1780, elle se plait à monter sur la scène de son Théâtre du Trianon des comédies et des opéras-comiques, genre alors en vogue (et relativement nouveau), dans lesquels elle joue et chante elle-même. Son meilleur rôle, si l’on en croit ses contemporains, sera Colette dans Le Devin du village de Jean-Jacques Rousseau.
Mais c’est d’abord à l’invitation de Gluck en France que l’on mesure son influence sur la musique de son temps. Non à la façon d’une muse qui aurait inspiré le compositeur mais en l’assurant du soutien indéfectible qui lui sera nécessaire pour mener à bien sa fameuse réforme. La trajectoire de l’opéra français, et au-delà du genre lyrique, s’en trouvera modifiée, on le sait – et si on ne le sait pas, Patrick Barbier l’explique de manière à ce que le moins initié des lecteurs en comprenne la portée. Cet ouvrage peut être placé dans toutes les mains, là n’est pas la moindre de ses qualités.
Marie-Antoinette appréciait Piccini, bien que ce dernier compositeur eût été invité à Paris par la favorite de Louis XV, Mme du Barry. La rivalité entre les deux femmes servira de prétexte à une de ces querelles musicales dont le Siècle des lumières est jalonné. Gluckistes contre piccinistes. Mais une fois le Roi « Bien-Aimé » défunt, la nouvelle Reine de France, loin de prendre en grippe le protégé de sa rivale déchue, lui assura à son tour sa protection, persuadée qu’il fallait du sang neuf au genre lyrique français. Bel exemple d’une clairvoyance guidée par l’instinct plus que par le calcul, nous démontre Patrick Barbier (on aimerait voir un jour représentée cette Didon qui, parmi la quinzaine des opéras composés par Piccini pour Paris, influença Les Troyens de Berlioz).
Grâce au soutien de Marie-Antoinette, s’ouvre en 1789 à Paris le premier théâtre avec une troupe permanente de chanteurs italiens, qui au 19e siècle servira de rampe de lancement aux opéras de Rossini, Bellini et Donizetti. C’est aussi grâce à son intervention qu’est instituée en 1784 l’École royale de chant et de déclamation, appelée à devenir le Conservatoire de Paris.
La fin de l’histoire est tragique, hélas. Passons vite pour retenir d’une femme déjà portraiturée par de multiples biographes, cette image originale de « la dernière souveraine qui ait exercé une influence réelle sur la vie musicale de son temps ».