Cette fois, il n’y avait ni Gustavo Dudamel, ni Joseph Calleja, ni Bryn Terfel. Mais pour sa deuxième série de représentations en deux mois, la reprise de Tosca à l’Opéra Bastille méritait un peu plus que le détour. Car s’il y a une figure féminine dans les œuvres de Giacomo Puccini qui mène la danse et peut, à elle seule, donner un supplément d’âme à une honnête soirée de répertoire, c’est bien Floria Tosca. Ça tombe bien, le rôle est endossé par Elena Stikhina, qui confirme toute sa valeur dans ces emplois de grand soprano lyrique tendant vers le dramatique. Elle refuse les minauderies au I, évite les vociférations au II, nous épargne trop de cris et de sanglots au III, conserve en toutes circonstances de l’allure et de la classe. Pour autant, cette prestation de haute tenue n’oublie pas d’émouvoir. L’iridescence soyeuse du timbre, l’égalité des registres, la force de la projection nous valent des duos d’amour d’une infinie tendresse, et un « Vissi d’arte » à l’intensité contenue, qui s’insère avec plus de fluidité que d’habitude dans les affres de la confrontation avec Scarpia. Il faut dire que ce dernier n’aura pas trop menacé de voler la vedette à l’héroïne de la soirée. Il est embarrassant d’émettre des réserves sur un artiste de la trempe de Gerald Finley, mais ce rôle dans cette salle exige tout simplement d’autres moyens ; le volume limité, les aigus pris en arrière, réduisent un chant que l’on devine subtil et travaillé à l’état d’intentions. Brian Jagde, au contraire, n’a pas de souci pour se faire entendre, ni pour prodiguer des aigus dont on sait par avance qu’ils seront longs, timbrés, puissants (le ténor était, paraît-il, en méforme il y a quelques jours, aujourd’hui il n’en paraît rien). Pour apprécier pleinement ce Mario solide, auquel la robustesse de la voix confère tout juste une forme d’arrogance mâle, c’est un surcroît de caractérisation que l’on aurait aimé voir. Encore eût-il fallu pour cela une autre conduite du legato dans « Recondita armonia » ou dans « E lucevan le stelle », où l’émotion affleure cependant grâce à une meilleure maîtrise des nuances.
A ce trio répondent des comprimarii parfaits et, surtout, une direction soucieuse d’éclairer toutes les subtilités d’une orchestration où Puccini se montre à son meilleur. A la tête d’un chœur et d’un orchestre en grande forme, Paolo Bortolameolli ne peut éviter quelques décalages avec le plateau, mais réussit admirablement à ménager la tension au final de l’acte I et pendant tout l’acte II, et à tirer de ses musiciens des couleurs qui donnent au prélude du III toute sa poésie.
Le spectacle de Pierre Audi, désormais bien connu du public parisien, n’est pas de ceux qui nécessitent une longue exégèse. Dans des décors signés Christof Hetzer et sous des lumières de Jean Kalman, qui dessinent un monde écrasé par une religion à la fois omniprésente (ces gigantesques croix qui surplombent la scène) et hypocrite, le metteur en scène propose une direction d’acteur plutôt habile mais assez conventionnelle, dont la principale innovation est de retirer à l’héroïne son spectaculaire saut final ; Elena Stikhina n’en avait pas besoin pour soulever les acclamations de la salle.