Né en 1840, mort en 1901, Edmond Audran est connu pour avoir composé La Mascotte, dont le succès a éclipsé ses autres œuvres. Gillette de Narbonne par exemple, créée deux ans plus tard en 1882 au Théâtre des Bouffes-Pariens. « Prétentieuse et banale », poignarde la critique au lendemain des premières représentations, après avoir reproché à la partition de ne pas avoir « la bonne humeur et l’entrain de La Mascotte ». Le jugement, sévère, doit être replacé dans le contexte d’une époque biberonnée à la musique d’Offenbach dont Audran se pose en successeur. L’hommage à Vénus dans les couplets d’Olivier au premier acte, l’emploi de « Turlututu », « Pan » et autres onomatopées au deuxième trahissent l’influence de l’aîné sur le cadet, la fantaisie en moins. Par son livret inspiré du Décaméron, par son écriture sinon « prétentieuse » du moins ambitieuse, par son esprit sinon « banal » du moins sage, l’ouvrage s’inscrit dans la veine sentimentale qui amorce durant la IIIe république le déclin de l’opéra-comique, genre auquel se rattache encore Gillette de Narbonne.
Sigisbée de ce répertoire, la Compagnie Fortunio en offre la joyeuse démonstration à L’Auguste Théâtre jusqu’au 16 octobre. La sobriété des moyens employés pour exhumer une œuvre qui n’avait pas été représentée depuis 1935 à Paris ne s’exerce jamais au détriment de la qualité du spectacle. A la mise en scène, Geoffroy Bertran et Pénélope Driant ont fait de la belle ouvrage, avec au 3e acte un clin d’oeil savoureux à la Belle au bois dormant façon Walt Disney. Le décor unique, qu’une toile peinte en fond de scène adapte aux différents lieux de de l’intrigue, a été astucieusement pensé pour favoriser les inévitables chassés-croisés. Les costumes respectent le caractère médiéval du livret. La flûte éloquente de Jacinthe Moreau colore le discours instrumental, confié au piano irréprochable de Romain Vaille. Pas un seul décalage, pas un seul écart à déplorer, la pièce va bon train servie par une troupe à la gaité contagieuse.
© Mylène Natour
Aux noms familiers de Christophe Doînel, auquel le rôle sinistre de Griffardin permet de donner libre cours à sa vis comica, et de Xavier Meyrand, lui aussi désopilant en prince Olivier brushé et peroxydé, s’ajoute un chœur de huit voix, essentiel dans les nombreux ensembles. Membre de la Compagnie Fortunio depuis 2018, Lou Benzoni Grosset est une Rosita dont le soprano soyeux se démarque de celui, plus ambré, de Marina Ruiz – le rôle de Gillette était confié lors de la création à la mezzo Marie Montbazon. Et l’on ne sait que plus apprécier : le charme délicat des Couplets du dodo confiés à la première ou l’aplomb crâne de la Chanson du sergent Briquet empoignée par la seconde, non sans quelques duretés imputables à un tempérament généreux. Dommage que la partition, dans un geste rossinien, ne prévoit pas de duo entre les deux interprètes.
Mais Audran semble avoir réservé le meilleur de son inspiration au rôle de Roger de Lignolle, défendu vaillamment par Geoffroy Bertran. Et de la vaillance, il en faut pour s’emparer d’une partition conçue à la mesure de Louis Morlet, baryton star pour lequel Varney ajouta deux airs à ses Mousquetaires au couvent. « Le plaisir nous convie » ou« Rappelez-vous nos promenades », le tendre duo avec Gillette, sont de ces mélodies que l’on fredonne, le cœur en fête, à la sortie du théâtre.