Petite, la Messe solennelle de Rossini ? La version avec orchestre proposée à Saint-Louis des Invalides par le Musée de l’Armée pour l’ouverture de sa saison musicale affirme le contraire.
Par son effectif inévitablement, mais aussi par la largeur du geste avec lequel Lucie Leguay dirige la partition, le testament musical de Rossini prend des proportions contraires à l’épithète qui lui est accolé. L’acoustique de la cathédrale en estompant les contours sonores des forces chorales et instrumentales contribue à entretenir l’impression de grandeur. Plus qu’une simple clarté, qu’une humble ferveur, s’imposent une vigueur oratoire, un volume dont la densité empêche de saisir le détail de chacun des pupitres. Dressée sur un catafalque de notes, l’œuvre, ainsi dirigée d’une main de fer, atteint dans la fugue du « Cum Sancto Spirito » une emphase dramatique qu’on ne lui soupçonnait pas. Si le chœur alterne inspiration – dans les nuances fortes – et hésitation, notamment lorsque la caméra musicale se braque sur le pupitre des ténors, le Müncher Symphoniker assume cette approche qu’il contribue à surligner. Les cuivres atteignent même une fulgurance verdienne dans l’introduction du prélude orchestral, auquel Philippe Brandels à l’orgue confère la solennité promise par l’intitulé de l’œuvre.
© Caroline Doutre – CIC
Il est alors regrettable que l’équilibre d’ensemble, variable selon la position que l’on occupe dans la nef de l’église, soit compromis par le choix des solistes. D’un côté des voix masculines puissantes, volontaires, aguerries à des partitions d’envergure : Paul Gay qui fulmine d’une basse noircie d’épouvante son Quoniam comme une menace ; Paul Gaugler, appelé in extremis pour pallier la défaillance de Florian Cafiero, dont le médium d’acier martèle sur l’enclume orchestrale un Domine Deus moins brillant que martial. De l’autre côté, des voix féminines, plus modestes, mieux adaptées sans doute à l’intimité de la version originale, pour deux pianos, un harmonium et douze chanteurs, « huit pour le chœur, quatre pour les solos » – d’après une mention laissée par Rossini sur la page de garde de son manuscrit. Le chant policé d’Ambroisine Bré se dilue dans un Agnus Dei qui voudrait plus d’ampleur. Raquel Camarinha offre au O saluturis la pureté et la lumière d’un soprano flatté par l’écriture du numéro. La fusion des deux timbres sur les arpèges voluptueux du Qui Tollis nous vaut un des quelques moments de grâce d’une soirée où l’éloquence théâtrale a prévalu sur la douceur de la prière.