Comme il nous le disait lors de son interview à Paris en mai dernier, le facétieux Emilio Sagi ne s’est pas gêné pour transformer cette Équivoque extravagante en une extravagance, sans équivoque. Au plus fort de l’action, il nous tend gentiment un miroir pour nous dévoiler sans fausse pudeur une fellation pratiquée en douce par les deux protagonistes amoureux. Qu’on ne s’y trompe pas, si le metteur en scène espagnol joue à fond la folie sur le mode psychédélique des années 1970 qu’il affectionne et s’autorise des gags osés, il sait rester léger et en deçà des limites de la vulgarité.
Rendons-lui grâce. Cette œuvre d’extrême jeunesse du Cygne de Pesaro est prometteuse, elle comprend quelques charmantes pages musicales dont plusieurs seront développées ultérieurement de manière autrement subtile, mais l’ensemble engendre une monotonie qui a bien besoin d’un apport visuel dynamique. Quant au livret, il est bâti sur une intrigue qui peine à susciter l’intérêt tant elle traîne à se mettre en place.
Un paysan enrichi (Gamberotto) souhaite marier sa fille (Ernestina), sorte de précieuse ridicule entichée de littérature, à un homme riche et vaniteux (Buralicchio). Parallèlement, un jeune poète modeste mais sincère (Ermanno) cherche à la conquérir avec la complicité inventive d’un couple de domestiques (Rosalia et Frontino). Leur plan ? Utiliser une « équivoque extravagante » pour écarter le riche prétendant en lui faisant croire que la jeune – fille est en réalité un garçon que son père avait autrefois fait castrer dans l’espoir de s’enrichir ! Stratagème qui aboutira évidemment à une fin heureuse.
Parmi les réussites musicales, notons le superbe quintette de plus de dix minutes du deuxième acte qui sera intégralement repris dans La Pietra del Paragone l’année suivante durant laquelle Rossini ne composera pas moins de six nouveaux opéras ! Et ajoutons le duo « Vieni pur, a me t’accosta » qui le précède. On y entend à leur meilleur la longiligne mezzo russe Marina Prudenskaja qui interprète le faux castrat et le baryton basse Marco Vinco qui campe avec brio un imbécile beau gosse.
En dépit de suraigus engorgés, Dmitry Korchak, le poète amoureux de la belle jeune femme, est un ténor musical au timbre agréable. Toujours très efficace et précis dans les rôles rossiniens bouffes, Bruno de Simone est égal à lui-même. Enfin, Ricardo Mirabelli et Amanda Forsythe complètent avec talent cette distribution. Malgré le peu de visibilité du rôle, la soprano américaine ne passe pas inaperçue. Toujours présente à son personnage, même quand elle ne chante pas, elle confirme ses qualités en nous charmant dans son air « Quel furbarel d’amore ».
Dieu merci la castration est une pratique abandonnée depuis belle lurette, mais il faut rappeler qu’en 1811, L’equivoco stravagante fut interdite après trois représentations pour y avoir eu virtuellement recours comme ressort de son livret ! Résultat : le texte original n’est jamais parvenu jusqu’à nous. Il demeure que, selon les témoignages de l’époque, ce « ratage » de Rossini — qui le conduisit peu après à passer une nuit en prison — a été l’objet de nombreuses accusations : sujet immoral, texte plein de sous entendus obscènes et jeux de mots scabreux faisant s’esclaffer le public. Si l’on en juge par les rires fusant de temps à autre dans la salle, certaines répliques lestes échappées aux censeurs de l’époque ne sont pas perdues pour les Italiens d’aujourd’hui.
Comment reprocher à Emilio Sagi d’avoir traité dans la même veine une intrigue riche en ambiguïtés et allusions sexuelles ?