Est-il possible, en 2008, d’organiser un concert sérieux, de la musique quoi, autour de l’opérette viennoise, sans cohortes de figurants enfroufroutés et encrinolinés, sans carrosses et chevaux immaculés, bref, sans André Rieu ? C’est le pari tenté par le Théâtre des Champs-Elysées, en coproduction avec le Barbican centre de Londres. Le TCE a mis toutes les cartes de son côté : deux chanteurs de classe mondiale, un CD sorti quelques semaines auparavant – certes, au titre grotesque, comme d’habitude – et les forces des Musiciens du Louvre-Grenoble avec Marc Minkowski à la baguette.
Pari à moitié réussi si l’on en juge le remplissage moyen de la salle mais objectif atteint à la fin de deux bonnes heures de musique : le public en redemande.
Le programme, au moins dans sa partie vocale, vient en totalité de l’album que les deux K. ont enregistré pour Sony. Alternant duos et soli, très simplement mis en espace, comme on ferait dans son salon en quelque sorte, les deux artistes restant sur un côté de la scène pendant les prestations de l’autre, ils démontrent une complicité sympathique et font ce que l’on pourrait appeler un beau couple glamour, même lorsqu’ils se déchirent, comme dans la scène complètement mélo de Die Csardasfürstin, redonnée en bis. Les tubes succèdent aux tubes et ne manquent que quelques airs de La veuve joyeuse pour que les nombreuses ménagères de plus de 75 ans peuplant le parterre soient ravies.
Dans le couple, la salzbourgeoise Angelika Kirchschlager joue à domicile et ca se sent. Non seulement son charme assez irrésistible s’épanouit pleinement dans ce répertoire, mais sa voix passe bien mieux la rampe que celle de son partenaire. Elle a mûri, c’est sûr, mais la projection est excellente et elle joue de son matériau pour exprimer toutes les nuances sans lesquelles ce répertoire endort irrémédiablement. L’air de Giuditta, en ouverture de la deuxième partie, emporte tous les suffrages.
A ses côtés, Simon Keenlyside déçoit, au moins sur un strict plan vocal. Certes, il est classe dans son frac et sa prestance va admirablement bien à cette Sekt-Musik. Drôle dans l’air de Die Zirkusprinzessin, une bière Leffe à la main, séducteur dans le tango de Das Veilchen von Montmartre, il joue avec aisance des différents registres, toujours au profit de l’expression et de la musicalité. Vocalement, il ne nous est pas paru au mieux. Si les aigus sont bien timbrés – et c’est là que sa voix est la plus convaincante -, le reste de l’ambitus est sourd et manque de projection, et l’orchestre le couvre souvent. L’incident a été proche, à deux ou trois reprises. Méforme passagère (vous serez heureux d’apprendre que notre baryton s’est mouché entre chaque air…), abus d’emplois trop lourds ? La tournée de concert auquel Simon Keenlyside participe devrait, espérons-le, lui permettre de faire une pause avant Eugène Oneguine, en mars prochain à Vienne.
Les musiciens du Louvre ont complètement adhéré au projet (le disque a, pour sa part, été enregistré avec un orchestre autrichien, dirigé par Alfred Eschwé). Conduit avec la fougue qu’on lui connaît dans ce genre de concert « léger » par un Marc Minkowski sautillant, l’orchestre – et notamment les cordes et les percussions – sonne bien et les changements de rythme, de tonalités, de nuances sont soulignés avec goût. Les vents, et en particulier les cuivres, ont moins convaincu.
Au final, une soirée plaisante, avec de vrais musiciens, sans prise de tête, parfaite pour une soirée de Saint-Sylvestre en novembre et se souhaiter une bonne année, avec deux mois d’avance !
Jean-Philippe THIELLAY