STEVE NIEVE (Né en 1958)
WELCOME TO THE VOICE (2008)
L’amour d’une voix
Opéra contemporain sur les rencontres improbables, livret de Muriel Teodori
Mise en scène Muriel Teodori
Décors Bernard Arnould
Costumes Caroline de Vivaise
Lumières Jacques Rouveyrollis
Conseil gestuel Daniel Larrieu
Collaborateur aux images et régie images Olivier Roset
Dionysos Sting
Le Commissaire de Police Elvis Costello
Lily Sylvia Schwartz
Le fantôme de Carmen Marie-Ange Todorovitch
Le fantôme de Butterfly Sonia Yoncheva
Le Fantôme de Norma Anna Gabler
L’ami de Dyonisos Joe Sumner
Piano, synthétiseur, Moog et Theremin Steve Nieve
Violoncelle et violoncelle électrique, percussion Vincent Segal
Trompette, clarinettes, flûte alto et shakuhachi japonais Ibrahim Maalouf
Saxophones Ned Rothenberg
Ensemble orchestral de Paris
Direction Wolfgang Dorner
Chœur du Châtelet, Chef de Chœur Frédéric Rouillon
Paris, Théâtre du Châtelet, vendredi 21 novembre
UN HYMNE A LA VOIX…
« The true salvation is the human voice »
Après un début de saison consacré – une fois n’est pas coutume – à la danse, tout d’abord avec un spectacle de tango Tanguera puis deux intéressants programmes du Ballet Australien et un bouleversant Edward aux mains d’argent, le Théâtre du Châtelet propose son premier spectacle lyrique de l’année.
Spectacle lyrique, vraiment ? Eh oui, car il s’agit bien d’un opéra, même si, a priori, cette création semble sortir des sentiers battus en alliant de vrais chanteurs lyriques à des stars du rock comme Sting et Elvis Costello.
Après tout, Sting ne nous avait-t-il pas gratifiés en 2006 d’un admirable disque Dowland Songs from the Labyrinth encensé par toute la critique « classique » justement, qui n’en croyait pas ses oreilles d’entendre un « rocker » rendre justice de manière aussi subtile et sensible à une musique aussi « savante » ? Quant à Elvis Costello et Steve Nieve n’avaient-ils pas travaillé, ensemble ou séparément, avec des artistes aussi divers et prestigieux que Michael Chance, le Quatuor Brodsky, Anne-Sofie von Otter et Barbara Bonney ? Preuve qu’après tout, au royaume de la voix, tout finit par être possible …
L’aventure n’est cependant pas, sur le plan musical du moins, une totale nouveauté, car un enregistrement de l’œuvre avait été publié en 2007 chez DG avec déjà Sting et Costello, mais aussi rien moins que Barbara Bonney, Nathalie Manfrino (eh oui !), Robert Wyatt et le quatuor Brodsky.
C’est d’ailleurs à l’occasion de la sortie de ce disque que le Théâtre du Châtelet proposa de monter le spectacle, toujours avec Sting et Costello, mais avec d’autres chanteurs pour le reste de la distribution : Joe Sumner, Sylvia Schwartz en Diva et Marie-Ange Todorovitch, Sonya Yoncheva et Anna Gabler pour les rôles des fantômes de Carmen, Butterfly et Norma.
Pour cette création mondiale à Paris, Steve Nieve a revu sa partition, prévue au départ pour un quatuor à cordes, en l’étoffant pour une formation plus importante, et Muriel Teodori, qui réalise également la mise en scène, a retravaillé son livret.
« Rencontre improbable » entre l’opéra et le rock, Welcome to the Voice raconte aussi une autre rencontre improbable, celle d’un ouvrier d’origine grecque au prénom prophétique de Dyonisos (Sting) avec une diva dont il tombe amoureux (Sylvia Schwartz). Après bien des déboires et des hésitations, et grâce aux fantômes de Carmen, Butterfly et Norma, parques bienveillantes, ils finiront par s’unir, « pour le meilleur et pour le pire » comme on dit…
Il faut bien l’avouer, n’en déplaise aux esprits chagrins un tantinet « intégristes » qui n’apprécient guère les « passerelles », cet « objet musical étrange » fut bien agréable à voir et à entendre, gage d’une bonne soirée…
Belle mise en scène, à la fois simple, intelligente et efficace, avec une judicieuse utilisation de la vidéo : magnifiques images de métal en fusion du début (Dyonisios est ouvrier dans une fonderie) ; éclairages judicieux et inspirés, décors minimalistes, mais très bien utilisés, symbolisant de manière saisissante la confrontation des deux mondes, celui de l’opéra et celui de l’usine. Costumes réussis et seyants..
Musique agréable, intéressante, qui rappelle parfois celle de Michel Legrand et de Phil Glass, ce qui n’a rien de déshonorant, bien au contraire. Livret certes un peu naïf parfois, auquel on pourrait reprocher aussi de faire un peu trop dans le « politiquement correct ». Mais du moins possède-t-il la qualité de ne pas verser dans le genre « donneur de leçon », et d’exprimer une joie et une poésie simples et directes. Après tout, par les temps qui courent, un peu de fraîcheur et de spontanéité « fleur bleue » ne font pas de mal, cela change même agréablement des masturbations torturées de nombres de metteurs en scènes et compositeurs en vogue…
L’atout majeur du spectacle réside indiscutablement en ses interprètes, tous formidables. On retrouve avec plaisir le charisme de Sting, sa voix rauque et cassée, son charme, sa présence scénique intense. Costello est aussi remarquable dans le rôle du policier vindicatif qui a du vague à l’âme, tout comme Joe Sumner dont la voix n’est pas sans rappeler celle de Sting. Côté opéra, la jeune et jolie soprano Sylvia Schwarz remporte la palme : timbre pur et clair, très séduisant , voix précise et bien projetée.
Ses collègues ne sont cependant pas en reste, avec une mention spéciale pour Anna Gabler, voix ample et sombre qui, par ailleurs, chante quand même Elsa, Agathe du Freischütz, Freia et Gutrune.…. Et les chœurs du Châtelet ne déméritent pas, loin de là, tout comme l’Ensemble Orchestral de Paris et le chef Wolfgang Doerner, ainsi que les formidables solistes instrumentaux qui viennent faire des « impros » sur scène. Quant aux figurants voltigeant dans les cintres, ils ajoutent à la magie et à la poésie de l’ensemble.
Seul petit bémol quand même, la sono un peu forte parfois, (problème de réglage ?) mais il faut bien en passer par là, car Sting, Costello et Joe Sumner n’ont pas des voix leur permettant de chanter sans micro et, sans lui, Sting aurait été mis en difficulté lors de son duo avec la diva Lily. Ce problème ne se présente pas au disque et pour cause, mais, sur scène, c’est une toute autre histoire.
En conclusion, « rencontre improbable », peut-être, plaisante, certainement.
Et au bout du compte, n’est ce pas des unions improbables que naissent souvent les plus beaux enfants ?
Juliette BUCH