Son concert en avril 2007 à Gaveau fait partie de la légende. Joyce DiDonato y déployait des prodiges d’interprétation devant une salle hélas à moitié vide. Les absents ont toujours tort ; les présents se chargèrent alors de le leur rappeler. Son Romeo superlatif en juin dernier à l’Opéra Bastille aidant, la mezzo-soprano américaine fait depuis courir les foules. Et c’est dans une salle Pleyel des grands soirs qu’elle revient en récital à Paris avec un programme qui emprunte ses titres et son nom – « Furore! » – à son dernier disque. Du Haendel dans tous ses états, furieux donc la plupart du temps, qui nous promet des montées d’adrénaline et des décharges d’émotions.
Aurions-nous mis la barre trop haute ? La soirée tient ses promesses sans toutefois provoquer l’excitation attendue. La faute à la direction, irréprochable mais très sage, de Christophe Rousset ? Peut-être mais pas seulement.
La faute à une salle Pleyel qui, selon la place que l’on occupe, ne rend pas toujours justice à la voix. Assurément. Du premier balcon, la projection paraît moins évidente dans le grave et le medium. On en viendrait presque, si la question importait, à s’interroger sur la tessiture réelle de la chanteuse.
La faute à certains partis-pris aussi : le « Scherza infida » par exemple, tout de colère et d’aigreur, avec ses consonnes heurtées et son ton acerbe, quand on aime sa douleur plus intérieure. Et puis l’extrême sophistication d’un chant qui ne laisse rien au hasard, au point de paraître contraint dans les moments plus élégiaques. On songe au « Dolce riposo » de Teseo qui, ouvrant la soirée, cueille la cantatrice à froid. Il faut attendre deux airs plus tard les coups de fouet du « Moriro, ma vendicata » pour que l’interprète se libère.
A trop chercher de raisons cependant à une déception toute relative, on en oublierait l’essentiel : l’ardeur avec laquelle Joyce DiDonato se jette dans chacune de ces scènes, ardeur encore plus flagrante pour les rôles qu’elle a déjà portés sur les planches : Ariodante et Dejanira(1) dont le « Cease, ruler of the day » térébrant et le « Where shall I fly » cyclothymique et enragé forment l’aboutissement.
Outre la ferveur, il y a la longueur de la voix, la précision et l’agilité qui ne cède en rien dans le « Crude furie » à celle de Cecilia Bartoli. Mimétisme inconscient ou non, la manière dont Joyce DiDonato balance son corps à ce moment évoque d’ailleurs son illustre consœur.
Il y a aussi la justesse du trait, la palette de couleurs – incroyable – qui évite la chausse-trape de la monotonie à cette succession de mêmes humeurs. De la fureur alors, oui mais contrastée, qui s’appuie sur le mot – le « veleno » (poison) de Serse, le « crudele » (cruel) de Medea, le « perfidious » de Dejanira, etc. – pour lui trouver à chaque fois de nouvelles significations : passion évidemment pour Hercules, acharnement pour Teseo, brutalité, férocité, frénésie, jalousie, violence, vengeance, haine. On ne savait pas que fureur avait autant de synonymes.
(1) Un DVD chez Bel Air Classique a immortalisé son interprétation de Dejanire à l’Opéra de Paris en 2004.