Marie-Nicole Lemieux
Contralto
Orchestre national du Capitole
Yves Abel
Direction musicale
Henri Duparc (1848-1933)
Aux étoiles
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer op.19 (Maurice Bouchor)
II. Interlude
III. La mort de l’amour
Henri Duparc
Phydilé (Leconte de Lisle)
Frederick Delius (1862-1934)
The Walk to the Paradise Garden
Edward Elgar (1857-1934)
Sea Pictures op.37
I.Sea Slumber Song (Roden Noel)
II. In haven (Caroline Alice Elgar)
III. Sabbath Morning at Sea (Elisabeth Barrett Browning)
IV. Where Corals Lie (Richard Garnett)
V. The Swimmer (Adam Lindsay Gordon)
Toulouse, le 13 décembre 2008
Un concert sauvé des eaux
Conçu pour réunir deux vedettes de la dernière saison qui s’apprécient, le chef Yves Abel et la mezzo soprano Sophie Koch, le programme de ce concert proposait aux auditeurs, en clin d’œil au Roi d’Ys, un panorama d’œuvres liées par le thème de la mer et ayant pour auteurs des musiciens de la génération du deuxième romantisme, de ceux qui pour se définir se situaient pour ou contre Wagner sans pouvoir, pour les seconds, renier son influence.
Du poème symphonique Aux étoiles de Duparc au Poème de l’amour et de la mer de Chausson, la première partie aurait pu s’intituler concert pour Des Esseintes, tant les deux compositions, où la nature est moins décrite qu’évoquée comme miroir ou symbole, distillent une atmosphère de délectation morose et d’introspection raffinée jusqu’à la décadence. Mais Sophie Koch ayant dû annuler in extremis pour raison de santé sa participation au concert et sa remplaçante, Marie-Nicole Lemieux, connaissant mal l’œuvre de Chausson elle en chante donc seulement le deuxième poème, La mort de l’amour, et rajoute Phidylé, de Duparc. Si l’unité de ton est donc modifiée, la somptuosité vocale et l’intensité expressive balaient le hiatus. Mais plus que l’éclat de la mélodie de Duparc, d’une rondeur solaire et aux grisants sons flottants, l’intériorité donnée au Chausson bouleverse tant elle sublime un texte frôlant le mièvre jusqu’au tragique.
Deux compositeurs anglais en deuxième partie. De Délius, d’origine allemande mais né en Angleterre et qui vécut la plus grande partie de sa vie en France, un intermezzo extrait de son opéra A Village of Romeo and Juliet créé en 1907. Il s’agit d’un moment musical qui précède le dénouement – les amants vont se noyer – et rassemble les principaux thèmes, écrit dans la tonalité finale de Tristan et Isolde, avec un motif au basson au milieu d’un tissu orchestral qui reconnaît, voire revendique sa filiation wagnérienne. Yves Abel obtient de l’orchestre les fluctuations et le raffinement sonores exigés par cette belle page.
Les cinq poèmes mis en musique par Edward Elgar ont tous la mer pour thème. Dans le premier elle est une Mère dont le chant suggère des visions de rêve et berce doucement jusqu’au sommeil. Le deuxième, écrit par la femme d’Elgar, oppose à l’instabilité menaçante de la mer sous l’orage la constance de l’amour. Le troisième est l’épanchement d’un cœur malheureux qui dans le spectacle de la grandeur marine trouve le réconfort de l’Esprit de Dieu. Le quatrième est une prière ambiguë où la présence de l’aimé est ressentie comme un obstacle aux fantasmes morbides d’un repos sous-marin. Le dernier est le souvenir qu’un couple garde d’un paysage tourmenté par la violence de la mer où Dieu semblait les protéger de la destruction. Si le climat de tous ces poèmes est différent, et donc si les couleurs de l’orchestration s’adaptent, la succession des houles et du ressac, correspondant aux turbulences de la vie, finit par donner à l’ensemble une unité dont émergent les accents grandioses de la dernière mélodie, où retentissent les échos de l’Elgar solennel. Yves Abel semble ici comme un poisson dans l’eau et dirige le flux musical avec la souplesse et l’énergie exactement requises.
Marie-Nicole Lemieux se donne librement dans ce qui invite l’interprète à des épanchements lyriques inspirés de la mer qui s’étale ou qui s’exalte ; mais la pâte sonore n’échappe jamais au contrôle et la musicalité préserve de tout excès. Le résultat est une enivrante traversée de ces compositions jusqu’au final glorieux. Le public, réservé à l’annonce de la défection de Sophie Koch, n’en finit pas de réclamer la chanteuse et il faut rallumer les lumières pour le décider enfin à quitter le Capitole. Dans la loge où il a suivi le concert et distillé à l’entracte mainte répartie spirituelle Nicolas Joel sourit : c’est ce qu’on appelle un sauvetage réussi !
Maurice Salles