Immense par ses proportions — elle dure presque deux heures —, œuvre tardive du plus grand des compositeurs de musique religieuse qui ait existé, la messe en si mineur de Johann Sebastian Bach possède une genèse dispersée dans le temps aussi bien que dans ses sources d’inspiration.
En 1733, le Cantor de Leipzig envoie au nouveau prince électeur de Saxe, Friedrich August II, devenu de ce fait roi de la catholique Pologne, le Kyrie et le Gloria qu’il vient de terminer. Ainsi lui offre-t-il implicitement de mettre son talent au service de rites liturgiques divergents. Et, une quinzaine d’années plus tard, il compose un fervent Credo conforme au dogme d’une Église, une, indivisible et apostolique, incompatible avec les convictions luthériennes.
Dans le programme de la soirée, Jean-Luc Macia écrit « Intensément croyant, de sensibilité piétiste, — et parfois critique vis-à-vis des plus dogmatiques des luthériens, Bach avait une relation très personnelle et directe avec Dieu. […] Aussi a-t-il peut-être surtout voulu par cette œuvre monumentale et anthologique rendre un hommage solennel et ému au Créateur sans trop se préoccuper des polémiques déchirant ses créatures ». Une bonne manière de clore un débat stérile.
Il est admirable que cette messe en si donne une telle sensation d’équilibre et d’unité alors qu’elle comprend de nombreux passages d’œuvres antérieures diverses. Ceci fournit d’ailleurs une justification concrète au statut de testament musical que la postérité lui a attribué.
Pendant la première partie du concert, la direction indulgente d’un chef, qui s’attache à tenir la pulsation plus qu’à chercher le relief sonore, nous laisse dans l’expectative. Durant les trois mouvements du Kyrie fugué, l’ensemble de voix de dix solistes de Cantus Cölln porte peu, manque de séduction. Il faut dire que l’acoustique sèche de la salle contribue à nous frustrer d’émotion.
Il manque la pesanteur de la souffrance, l’exultation reste prudente. Si les cordes — sous l’impulsion d’un beau premier violon —les hautbois et les flûtes du réputé orchestre de chambre Akademie für alte Musik Berlin se montrent généralement brillants, les trompettes ont du mal à éviter quelques discordances. Dans les tutti, les chanteurs parviennent difficilement à capter et surtout à soutenir l’attention.
Dans un « Laudamus te » expressif avec accompagnement de violon, la soprano Johanna Kolowsky démontre ses qualités dans les vocalises. Le plus beau moment de chant du Gloria nous est donné dans le duo « Domine Deus » par la soprano, annoncée remplaçante, Yvonna Lesniowska, dont la jolie voix s’unit à celle du ténor pour dégager une harmonie rassurante auquel les flûtes contribuent. L’aria « qui sedes ad dextram patris » de l’alto masculin, Alexander Schneider, et celle de la basse Wolf Matthias Friedrich, très engagé mais au souffle un peu court, précèdent le tutti du « Cum Sancto Spiritu » qui conclut de manière éclatante mais toujours assez retenue.
Après l’entracte, le Credo commence par un chœur à cinq voix. La basse Markus Flaig et surtout le ténor Hans Jörg Mammel se font bien entendre. Une plus grande ferveur s’installe pour culminer dans un magnifique « Crucifixus » et un « Et resurrexit » qui laissent peu de choses à désirer. Le Sanctus et l’Osanna retombent dans une certaine platitude que ne réveille pas l’aria attendue de l’excellent Mammel à la belle prestance, mais qui reste, ce soir, le nez dans la partition.
Il manquait sans doute au chef d’orchestre une vision globale, suffisamment perceptible. Pour nous, Konrad Junghänel, musicien raffiné au charme un peu désuet, exhale douceur et sensibilité. Cette œuvre puissante a d’autres exigences.