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Pelléas et Mélisande — Vienne (Theater an der Wien)

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Spectacle
17 janvier 2009
Une vague de bonheur

Note ForumOpera.com

4

Infos sur l’œuvre

Drame lyrique en cinq actes (1902)

Détails

Mise en scène et costumes, Laurent Pelly Décors, Chantal Thomas Lumières, Joël Adam Assistant aux costumes, Jean-Jacques Delmotte Mélisande : Natalie Dessay Pelléas : Stéphane Degout Golaud : Laurent Naouri Arkel : Phillip Ens Geneviève : Marie-Nicole Lemieux Un berger / un médecin : Tim Mirfin Yniold : Beate Ritter Orchestre symphonique de la Radio de Vienne Chœur Arnold Schoenberg Direction musicale, Bertrand de Billy Vienne, le 17 janvier

 

 

 

   

Groggy : ainsi étions-nous au rideau final de ce Pelléas et Mélisande dans l’écrin du Thater and der Wien, l’équivalent viennois de l’Opéra Comique parisien. Une telle fusion du théâtre et de la musique coupe le souffle, avant de submerger de bonheur. Quelle réussite ! Et, chose merveilleuse, c’est une réussite d’ensemble, qu’aucune faiblesse individuelle ne vient entacher !

 
 

Le plateau tournant sur lequel Chantal Thomas pose les décors permet de passer rapidement d’un lieu à l’autre par de simples fondus enchaînés ou des précipités et de maintenir ainsi la tension dramatique. Du fait de leur hauteur, les troncs représentant la forêt initiale restent présents autour du château d’Arkel, et en un coup d’œil on perçoit l’influence directe de cette nature mystérieuse sur les humains qui vivent à sa lisière. Sans doute ceux-ci croient-ils la dominer, comme le suggèrent les troncs travaillés à la façon de piliers de fonte ; mais le drame à venir démontera leur erreur. Les sombres lambris qui corsètent les murs n’empêcheront pas la sauvagerie d’y pénétrer. Pourtant il n’y a pas de parti pris réaliste : nul saule où accrocher les cheveux de Mélisande, puisque c’est l’imagination de Pelléas qui lui fait inventer son jeu, même s’il y a bien de la rouerie : la fontaine de la forêt pourrait évoquer une tombe abandonnée. Mais la mort n’est-elle pas la constante qui unit tous ces personnages ? C’est bien un des atouts du spectacle que la polysémie expressive de ce décor, par exemple l’épave devenue la grotte au pied de la falaise, ou la galerie souterraine réalisée en un instant par un jeu de machinerie, image des abîmes intérieurs que l’on tremble d’explorer, ou la tour réduite à un escalier dont l’ascension semble interdite à Pelléas et en haut duquel on voit la lumière.

 

Cette puissance suggestive du décor est soutenue par les éclairages splendides de Joël Adam, atmosphères crépusculaires, lumières nocturnes, reflets d’eau, qui valorisent les costumes et les personnages. Golaud est sombre, de plus en plus, Mélisande et Pelléas ont l’éclat de la jeunesse, mais elle abandonne sa souple toilette (de bal ?) initiale – déchirée on ne sait si dans la fuite en forêt ou par quelque violence préalable – pour l’uniforme strict des femmes de ce château, dont Geneviève elle-même est sanglée, et la houppelande pèse sur les épaules d’Arkel comme le temps qu’il a vécu. Mais si certaines images rappellent des toiles préraphaélites ou naturalistes, la réalité humaine prime sur tous les systèmes d’interprétation.

 

Cette réussite symbiotique porte la marque de Laurent Pelly. La vision qu’il propose du chef d’œuvre de Debussy est confondante par l’acuité de sa pénétration ; le moindre mot du texte est scruté et il en sort une lecture théâtrale d’une force qui respecte scrupuleusement la musique et renvoie au rayon des balivernes l’évanescence de l’œuvre. C’est à la puissance implacable des tragédies antiques, à la passion étouffante d’Otello, à la grandeur de Tristan qu’il nous fait accéder, tout en variant les climats au gré des couleurs musicales. Il va de soi que la réussite est portée par les interprètes, intégrés dans les personnages avec un talent qui ébahit : Golaud passe du dépit du chasseur vexé à la complaisance obtuse du mari tranquille, puis à la violence incontrôlée du mari torturé par la jalousie ; Mélisande va de l’effroi de la victime probable de brutalités masculines à l’application contrainte de l’épouse, avant de s’abandonner aux effusions des affinités avec un Pelléas mélancolique et sensible, depuis toujours suspect à son demi-frère. Geneviève toise l’étrangère du haut de la supériorité d’une aliénation vieille de quarante ans, et les cendres d’un Arkel libidineux semblent se rallumer quand le vieillard cacochyme l’étreint. Rien n’est forcé, tout découle du texte et de la musique, même la grandiloquence de « Si j’étais Dieu j’aurais pitié du cœur des hommes » devient exclamation logique jaillissant de l’émotion et de l’expérience. On n’en finirait pas de détailler les trouvailles, le dernier rendez-vous entre Pelléas et Mélisande littéralement donné entre deux portes, le premier duo au bord de la fontaine où leurs déplacements et leurs attitudes composent une chorégraphie, l’escalier d’où Golaud surplombe Mélisande tel un juge, le dernier duo où les distances coïncident exactement avec les impératifs musicaux et dramatiques…

 

Ces comédiens admirables – Yniold d’une justesse poignante, tiré de son insouciante candeur par la violence du monde – sont aussi d’admirables chanteurs, et on voudrait presque se satisfaire d’un éloge global. L’animosité tranquille de Marie-Nicole Lemieux, luxueuse Geneviève, les graves et l’autorité de Phillip Ens, la voix flûtée de Beate Ritter, la sensibilité vibrante et la clarté de Stéphane Degout, la souplesse devenant rudesse et violence de Laurent Naouri, la féminité dans tous ses états – jamais l’enfant – la femme victime parce que désirée et dans l’immanence de ses sentiments, de Natalie Dessay… Tous sont inoubliables et bouleversants de vérité.

 

Et le bonheur est complet parce qu’outre la participation fugace du Chœur Arnold Schoenberg l’orchestre de la radio viennoise sert la partition de Debussy avec le même scrupule et le même engagement. Son chef pour encore quelques mois, Bertrand de Billy, obtient des musiciens la transparence, la précision, la subtilité. Sa direction sait aussi devenir ardente pour faire croître les menaces et porter à l’incandescence les fulgurances dramatiques. Cet idéal de fusion entre la fosse et la scène, quand il se réalise, transporte et fait exulter, quand le dénouement tirerait des larmes !

 

Un DVD devrait garder la trace du spectacle, salué à la fin – au sens propre du mot – par d’interminables applaudissements. Son caractère d’exception tient sans doute à l’alchimie entre les réalisateurs et les chanteurs – un cocorico au passage ! – mais la force de la conception visuelle et dramatique en fait déjà une référence. Quel théâtre français le reprendra ?

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