Une fois n’est pas coutume, mais on ne prêtera qu’une oreille très distraite à La Fontaine et à la morale de sa fable, Le Faucon :
Une traîtresse voix bien souvent vous appelle;
Ne vous pressez donc nullement.
Que le spectateur se presse au contraire à la Péniche Opéra, pour voir La Colombe de Gounod. Les voix sont loin d’être traîtresses et la mise en scène de Mireille Larroche, pleine d’énergie, sert bien cet opéra comique méconnu.
S’inspirant du Faucon, Gounod compose La Colombe en 1860, un an après son Faust, sur un livret de Barbier et Carré. Dans un Paris où Offenbach triomphait, cette œuvre charmante reçut à l’époque un accueil honorable. L’argument est simple, avec un rebondissement final assez savoureux. Retiré à la campagne avec son valet Mazet, Horace a baptisé une colombe du prénom de l’aimée, la comtesse Sylvie. Celle dernière l’a ruiné mais il l’aime toujours. Pour cette raison, il ne se séparerait pas du précieux volatile pour tout l’or du monde. Or Sylvie souhaite justement donner le change à sa rivale qui parade en société avec un perroquet. Accompagnée de son majordome Maître Jean, elle vient ainsi réclamer à Horace la colombe. L’intrigue de ce « court et délicieux » opéra – selon le mot de Stravinsky – est posée. Délicieux car la colombe manque d’y perdre quelques plumes…
Le cadre intimiste de la Péniche Opéra est idéal pour représenter l’œuvre. On apprécie particulièrement la performance d’acteur des chanteurs. Loin de se laisser impressionner par la proximité du public, ils mettent tout leur enthousiasme au service des personnages quelque peu déjantés et appuient efficacement le comique des situations. Leur talent de comédien est d’autant plus appréciable que l’œuvre fait alterner musique et récitatifs. Les dialogues parlés ont été modernisés, parfois de façon un peu trop exagérée pour être vraiment drôle. Mais ce détail ne gâche pas un ensemble très cohérent.
La mise en scène joue de fait sur la confrontation entre deux époques – le XVIIIe et le XXIe – et entre deux mondes – celui de la campagne et celui de la ville. Le résultat est donc un peu caricatural (Sylvie est un mannequin parisien, Horace un altermondialiste) mais reste un parti-pris tout à fait justifiable au vu de la drôlerie du livret. Au final, personne ne se prend au sérieux et cela fonctionne bien.
Au-delà de l’aspect comique (Maître Jean ressemble à Karl Lagerfeld, Sylvie porte une perruque rose fuchsia digne des danseuses du Crazy Horse), les costumes de Danièle Barraud sont ingénieux et permettent de rapides changements de tenue sur scène. Le décor champêtre d’Alexandre Heyraud est très réussi. Au premier plan, des bottes de foin jonchent un sol vert ; une colombe semble attendre son sort dans une cage. A l’arrière plan, une caravane recouverte de slogans altermondialistes laisse astucieusement entrevoir le pianiste Christophe Manien.
On note le très beau timbre de Vanessa Le Charlès qui, dans le rôle de Mazet, sait ménager un ressort comique en nuançant ses effets dans l’air « Oh les femmes ». Dorothée Lorthiois, à l’aise vocalement, campe de façon convaincante une comtesse un peu déjantée et gentiment hystérique face à un Horace naïf et transi interprété par Pierre Espiaut. Johann Leroux, très digne Maître Jean, s’amuse et nous amuse sur le « Grand air de la cuisine ». On assiste à de très beaux moments musicaux lors des quatuors, à l’image de l’œuvre : enlevés et drôles.