C’est Waltraud Meier qui a remplacé, au pied levé, Deborah Voigt, souffrante, dans la partie lyrique du concert que le Deutsches Symphonie Orchester a donné au public de la salle Pleyel. Sans parler d’aubaine, on eut en premier lieu le sentiment de n’avoir rien perdu au change, du moins en termes de renom, même si l’issue de la soirée nous fit un peu déplorer qu’on n’eût pas plutôt procédé au remplacement de l’orchestre et de son chef. Qu’ils fussent entièrement indignes, tant s’en faut ; qu’ils ne parvinssent pas à entourer la voix de Waltraud Meier de l’ornement de délicatesse et de nuance qu’elle méritait, là demeure le véritable regret.
Le Prélude de la mort d’Isolde, mené sur un tempo relativement allant, ne manquait ni de force, ni de plénitude sonore, ni d’équilibre des pupitres, ni de clarté dans l’étagement progressif des entrées du motif. Mais ces qualités premières devinrent vite un carcan duquel Isolde ne dut pas réchapper. Waltraud Meier, dont on apprécie immédiatement les qualités de diction et d’expressivité, fut réduite au mutisme dans son registre médian, écrasée par une masse des cordes dont elle ne parvint à s’extraire qu’à grand peine dans des aigus dont elle fut manifestement contrainte de sacrifier la couleur et la justesse à l’impérieuse nécessité de volume. Bien loin de l’haleine orchestrale tendre et inquiétante, constellée du scintillement d’astres lointains, dont Daniel Baremboïm avait admirablement su envelopper Waltraud Meier dans son Tristan de la Scala en 2007, Ingo Metzmacher nous infligea un Wagner monumental, peu préoccupé de s’accorder à un texte où les innombrables répétitions de « mild », « leise », « sanft », « süß » résonnaient comme autant de désirs inassouvis, et somma Isolde de succomber en silence, promptement, et sans déroger au métronome.
Les Quatre derniers lieder de Richard Strauss souffrirent des mêmes maux : tempi parfois forcés et toujours d’une implacable rigidité, tissu orchestral oppressant comme une camisole et obstinément étanche au sens premier des vers de Hesse. Le parti pris d’Ingo Metzmacher de ne rien souligner, par un désir évident de fuir tout maniérisme, s’est avéré, à l’écoute, très décevant. Ne citons comme rencontres manquées entre voix et orchestre, entre poésie et musique, que le « Der Garten trauert » du vers liminaire de « September », accompagné par un orchestre presque guilleret, ou bien la surprenante alliance des flûtes, de la clarinette basse et du célesta sur « gestirnte Nacht » et sur « müdes Kind » de « Beim Schlafengehen » noyés par les cordes, ou bien encore l’admirable gamme descendante du début de « Beim Schlafengehen », dénuée du plus sommaire confort, et dans le creux de laquelle Waltraud Meier sembla ne se lover qu’à contrecœur. Si le dialogue entre le violon solo de Wei Lu, à l’expressivité corsetée et timide, et la voix n’eut pas lieu, c’est en revanche avec le cor souple et chaleureux d’Ozan Cakar que Waltraud Meier put trouver un relai à son aune dans le postlude de « Im Abendrot », précédé de la lente chaîne de modulations qui enténèbre peu à peu la paisible descente à l’obituaire des derniers vers, au cours de laquelle on put apprécier, comme en un dernier regret, l’harmonie de la voix et de l’orchestre, trop tardivement obtenue.
La partie symphonique du concert comprenait La Mer de Debussy, qu’Ingo Metzmacher, ayant privilégié la structuration verticale des timbres au dynamisme horizontal du discours, eut tendance à réduire à une suite de compartiments séparés au lieu de mettre en relief l’intime liaison et l’élan musical qui animent cette une partition orchestrale. C’est dans l’Adagio de la 10ème Symphonie de Mahler, seul mouvement de cette œuvre inachevée véritablement orchestré par le compositeur, qu’Ingo Metzmacher et le Deutsches Symphonie Orchester — particulièrement les cordes — ont pu trouver à joindre leur incontestable qualité de timbre à l’expression juste d’un propos musical. L’empilement des motifs ascendants, comme une ironique et dissonante réponse à Tristan, l’inimitable accentuation mahlérienne où la mesure à quatre temps semble naître de l’effrangement traînard d’une valse boiteuse, la stridence des cordes suraiguës des derniers quatuors de Smetana que Mahler module tantôt étouffée par la sourdine tantôt réfractée en harmoniques cristallines, ont élevé le DSO et son chef aux seules minutes d’une extase dont on eût voulu jouir davantage.