.
Cette production de février 2009 a été montée autour d’Edita Gruberova qui avait fait ses débuts dans le rôle en version de concert à Barcelone un an plus tôt. Le dispositif scénique est constitué d’un pan incliné surélevé clos par un mur percé d’une porte sur lequel est écrit le nom de l’héroïne en lettres lumineuses qui s’esquivera en coulisses par la gauche durant toute l’œuvre laissant apparaître le vide du fond de scène au final. La porte sert d’entrée à Lucrezia durant le prologue, le B de Borgia sera arraché au I par Gennaro et laissé au sol jusqu’à la fin.
Gennaro et ses amis, vêtus de culottes courtes au Prologue, semblent sortir de classe. Ils arborent ensuite des pantalons au premier acte, façon de montrer le passage du temps tout en conservant leurs chemises souillées de sang symbolisant les morts perpétués par les Borgia dans leurs familles respectives.
L’espace scénique reste occupé par le chœur, notamment durant le duo entre Orsini et Gennaro, simplement par une table d’école bruyamment apportée par Don Alfonso lors de son entrée ou par des chaises dans le dernier tableau sur lesquels s’assoient dos au public les compagnons de Maffio Orsini une fois morts avant de se lever pour se joindre au chœur du final.
La direction d’acteur assez fouillée évite les poses statiques et permet à Edita Gruberova de camper une Lucrezia Borgia crédible, dont le personnage a été rendu intemporel, notamment au I habillée et coiffée en clone de Meryl Streep dans le film Le Diable s’habille en Prada après un Prologue en costume d’époque. L’idée de la faire apparaître au II en une sorte de petite sœur gothique d’Elektra avec longue perruque blanche alla Gwyneth Jones est déjà beaucoup moins heureuse. Par ailleurs, il paraît désormais indispensable de retrouver ce qui semble être devenu la marque de fabrique de la cantatrice après son incarnation légendaire d’Elisabetta dans Roberto Devereux à savoir l’arrachage de perruque qu’elle tient ensuite un long moment à la main en la laissant traîner au sol avant de la remettre maladroitement sur sa tête pour finir par la laisser définitivement au sol ce qui confine au grotesque le plus absolu.
Le niveau musical se situe heureusement à un tout autre niveau.
Bertrand de Billy à la tête du Bayerisches Staatsorchester donne toute l’énergie nécessaire à cette partition grâce à une direction vive et précise. Il est toutefois regrettable d’avoir pratiqué des coupures par exemple au moment de la mort de Gennaro qui est immédiatement enchaînée à la cabalette de Lucrezia.
Alice Coote est physiquement parfaite dans le rôle travesti de Maffio Orsini. L’écriture vocale semble trop grave pour elle compte tenu du rayonnement magnifique de l’aigu et des difficultés rencontrées dans le bas de la tessiture. Par ailleurs, si elle exécute toutes les notes avec style, l’univers de Donizetti ne semble pas être celui qui lui convienne le mieux. Même remarque pour Pavol Breslik habituellement distribué dans des emplois mozartiens qui doivent mieux lui correspondre. Il manque chez l’un et l’autre cet engagement propre au bel canto romantique. Peut-être aurait-il fallu ne pas supprimer la cavatine de Gennaro pour que le ténor puisse proposer une incarnation plus aboutie et que le spectateur ne reste pas ainsi sur sa faim.
Franco Vassallo incarne un Don Alfonso brutal aux accents caricaturaux de méchant. Plus baryton que baryton-basse il se retrouve à court de grave mais triomphe grâce à un la bémol aigu percutant.
En très grande forme vocale, Edita Gruberova subjugue dès son entrée par la beauté de son timbre unique et inaltéré, par l’impact d’une voix capable de forte puissants et massifs et de pianissimi éthérés (le la bémol tenu au final du Prologue ; dommage juste après de vouloir donner deux fois le contre ré bémol facultatif de la toute fin, le premier étant complètement faux et le second à l’arrachée). L’acte suivant (ne réclamant aucune contre-note) est dans la même veine que le prologue avec, qui plus est, un très bel investissement – jeu inspiré et sens du texte soigné – rendant le personnage totalement crédible. Les choses se dégradent malheureusement par la suite avec une entrée « Si ! Son la Borgia » au grave outrageusement ouvert, appuyé et détimbré laissant craindre le pire… qui aura lieu, après une cavatine pourtant magnifiquement ciselée, dans la cabalette « Era desso il figlio mio ». Donizetti a alors rendez-vous avec le pire vérisme, outrancier avec des graves de nouveau appuyés dans les vocalises. Pourquoi chercher à dépasser ses limites ? Les efforts nécessaires pour tenir la ligne de chant entrainent des montées hasardeuses vers l’aigu qui culminent sur un contre-mi bémol digne d’une sirène de locomotive et tenu à outrance. Dommage, cela ruine une performance qui aurait pu être magnifique.
Mention spéciale pour les comprimari de très haut vol à commencer par le Don Aposto Gazella de Christian Rieger et pour les choeurs.