Programmer un concert symphonique célébrant le bicentenaire de la mort de Joseph Haydn, pour la trentième édition du Festival Rossini, est un choix qui surprend. Surtout quand la soliste invitée s’appelle Ewa Podleś, elle qui a incarné tous les grands rôles de contralto rossiniens : Tancredi, Malcolm, Calbo, Arsace… Souvent d’ailleurs — mais uniquement hors des frontières italiennes — sous la baguette du Maestro Zedda en personne. Comme tout autre, le cœur italien a ses raisons…
Si Ariane à Naxos, cantate d’une puissance dramatique inouïe figure de longue date au répertoire des concerts de Podleś, c’est qu’elle permet à cette magicienne du chant de tenir l’auditoire en haleine pendant plus de vingt minutes, en utilisant toute l’étendue de son impressionnant registre.
L’œuvre est composée comme un long récitatif enveloppant, d’abord doucement plaintif, puis ponctué d’éclats de plus en plus déchirants jusqu’à atteindre un climax presque insoutenable et se terminer par une montée de fureur assassine.
Après un « Teseo mio ben … ove sei tu ? “ et un « sposo adorato » gorgés de caresses vocales, Podleś se fait suppliante, haletante, mourante, jusqu’au largo d’une grâce mozartienne irrésistible où le chant et les instruments sont intimement mêlés. Mais quand le doute se change en certitude, au moment du larghetto, celui où tout bascule dans un grave somptueux sur « l’alma tremante“ et où, littéralement fouettée par l’orchestre, la voix se déchaîne jusqu’à devenir une arme assez puissante et acérée pour tuer l’infidèle, l’interprétation atteint un degré d’émotion qui laisse l’auditoire sous le choc.
Écrite à l’origine pour voix et clavicembalo, l’œuvre — qui passe pour celle de Joseph Haydn que Rossini préférait ! — a été orchestrée par Ernst Frank, musicien contemporain du compositeur allemand.
Ici, sous la baguette de Lukasz Borowicz — en symbiose avec les tempos de sa compatriote — les musiciens italiens de l’Orchestra Haydn di Bolzano e Trento se montrent remarquables. La direction fine, souple, et bondissante du jeune chef polonais sait insuffler à chaque pupitre un enthousiasme perceptible. Les deux œuvres instrumentales qui encadrent la cantate bénéficient d’une même attention aux nuances.
Après avoir accueilli Ewa Podleś dès son entrée, par de chaleureux applaudissements, le public s’installe dans une écoute attentive qui se prolonge jusqu’à ce que résonne l’inoubliable “Barbaro e infedel » final.
Son ovation insistante est gratifiée de deux bis rossiniens : un « Cruda sorte » canonique et une canzonetta spagnuola non moins relevée. Un retour bienvenu à Gioachino après ce concert off Festival.