Comme il l’avait fait en 2007 pour sa Gazza Ladra, Damiano Michieletto livre d’emblée la clé de sa mise en scène. L’idée est présentée avec tant d’entrain et de rigueur que le public est tout de suite conquis. Contrairement aux relectures rajeunissantes qui abîment, celle-ci rafraîchit et magnifie. Le point de départ ? Une idée simple : la mise à l’échelle 1/1 du plan de la maison du tuteur de Giulia où va se dérouler une Scala di seta endiablée. Chaque pièce est délimitée au sol, comme sur un plan d’architecte : soggiorno, bagno, letto… Un jeu de miroirs permet de voir ce qui se passe dessus comme dessous — y compris dans le jardin…
Durant l’ouverture, au rythme allègre de la musique, le logis se retrouve entièrement meublé en style contemporain. En quelques minutes, la cuisine est installée, le lit est fait, l’eau coule dans la douche, il y a des fleurs dans les vases et un poisson rouge dans le bocal… L’échelle qui aboutit à la chambre de la belle est joliment figurée par un drap de soie tortillé en spirale.
Cette action vaudevillesque, reposant sur feintes et quiproquos autour d’un mariage secret, nécessite de constantes allées et venues entre six personnages. Avec cet astucieux dispositif scénique où les murs sont virtuels et où les protagonistes font semblant d’ouvrir et de refermer des portes invisibles, le bouillonnant metteur en scène vénitien obtient la fluidité qui sied à la musique étourdissante du jeune Rossini — Il a moins de vingt ans quand l’œuvre est créée ! Une multitude de petits gags animent les récitatifs ; les airs et les ensembles font l’objet de jeux de scène qui caractérisent les personnages avec beaucoup de finesse.
Tous les chanteurs, dont plusieurs ont complété leur formation musicale à l’Academia Rossiniana de Pesaro, sont rompus aux exigences du chant rossinien ; une complicité ludique transparaît tout au long de la représentation, en particulier durant le quartetto « Si che unito a cara sposa » d’une précision remarquable.
Avec sa voix ample, au timbre charmeur, Carlo Lepore incarne avec brio le rôle de Blansac. Adapté par Rossini d’après un « Alle voci della gloria » antérieur, le bel air donjuanesque « Alle voci dell’amore » — qui n’existait pas à l’origine — offre à cette séduisante basse napolitaine la possibilité de démontrer ses talents de chanteur et d’acteur. Durant son extase solitaire sur les attraits de l’amour, il est dérangé par l’arrivée intempestive d’un petit chien, puis — chacun ayant oublié quelque chose dans la pièce — par le défilé de tous les personnages. Malgré ces interruptions, Carlo Lepore poursuit magnifiquement son chant tout en réagissant de manière amusante à chaque situation.
Olga Peretyako est une jolie Giulia moderne, très à l’aise en scène. Dès son premier duetto avec Germano et dans l’air lent et tendre « Il mio ben sospiro », qui suit une charmante introduction instrumentale, la jeune soprano déploie le velours de son timbre juvénile. Les aigus sont faciles, les vocalises précises, les descentes chromatiques graduées à souhait. Elle ne semble jamais peiner dans les passages difficiles, même quand elle chante, en survêtement rose, durant sa séance de fitness.
La brièveté de l’air « Sento talor nel anima » ne nous donne guère le temps d’apprécier la voix de la mezzo d’Anna Malavasi qui campe avec justesse Lucilla.
Dans le rôle du mari clandestin, le ténor espagnol José Manuel Zapata a des petits problèmes de justesse. La voix est toujours aussi puissante, mais depuis son Iago dans l’Otello de 2007 l’aigu a perdu quelque peu de son éclat.
Enfin, avec une veine comique innée, le sympathique baryton Paolo Bordogna tient efficacement le rôle du serviteur omniprésent. Si le timbre n’est pas des plus agréables, la précision de sa diction et son agilité dans les périlleuses vocalises monosyllabiques le rangent parmi les meilleurs interprètes de ce genre de rôles buffa.
Pour comble de bonheur, l’orchestre joue à la perfection sous la direction experte du grand Claudio Scimone, fondateur de I Solisti Veniti. Ce chef renommé n’était pas reparu à Pesaro depuis son Maometto II de 1985.
Une Scala di Seta qu’on aurait aimé revoir et réentendre, sur le champ.