La redécouverte des opéras de Vivaldi, entreprise dans le cadre du projet d’enregistrement des manuscrits de la Bibliothèque de Turin, nous vaut cette saison l’exhumation d’Armida al campo d’Egitto, un dramma per musica en trois actes, dont le deuxième, disparu, vient d’être reconstitué par Rinaldo Alessandrini et Frédéric Delamea. Travail musicologique de fourmi sur lequel on aimerait avoir plus de précisions. Ce deuxième acte a-t-il été recomposé en empruntant à des ouvrages de la même époque ? Ou les chercheurs ont-ils travaillé à partir de l’arrangement qui fut présenté à Venise, en 1738, lors de la dernière reprise de l’œuvre, avant qu’elle ne sombrât dans l’oubli ? Le programme de la soirée, succinct, n’en dit rien et on le regrette d’autant plus que cette deuxième partie contient précisément les plus beaux airs de la partition. Tout juste nous explique-t-on qu’Armida fut crée en 1718 par un Vivaldi à l’aube de sa carrière lyrique, bien qu’il eût déjà atteint l’âge de quarante ans, juste avant son entrée au service du Prince Phillip de Hesse-Darmstadt, gouverneur de Mantoue.
En fait, le programme consacre l’essentiel de ses pages à débroussailler un livret des plus ineptes, inspiré par un obscur épisode de La Jérusalem délivrée. Armida chez Vivaldi se retrouve à Gaza aux prises avec les Egyptiens où, durant trois actes se répète inlassablement la même situation. Osmira, la nièce du Calife est repoussée par Adrasto qui aime Armida qui tente de séduire, en vain, le général Emireno, Erminia et Tisaferno jouant les chiens dans ce mauvais jeu de quilles (la première, amoureuse de Tancrède, est courtisée par Emireno tandis que le second se pose en rival d’Adrasto). La partition tente de venir au secours de l’intrigue sans toujours y parvenir. Pas de grande scène dramatique à l’exemple de la folie d’Orlando (furioso), ni de feux d’artifices vocaux comme ceux prodigués par Atenaide ou Griselda mais des arie da capo pour l’essentiel et de longs récitatifs secs qui, compte tenu des enjeux de la pièce, paraissent interminables.
Pour le reste le génie mélodique de Vivaldi et sa science de l’orchestration font heureusement merveille, avec notamment un air virtuose sur fond de cors interprété par Armida, dans la veine du « Dopo un’orrida procella » de Griselda, et un très bel andante pour Tisaferno, que magnifie un Martin Oro au meilleur de sa forme. Timbre de soie, légèrement grenu, vocalises habitées et chant affranchi, le contre-ténor, familier de ce répertoire (Grifone dans l’enregistrement d’Orlando finto pazzo ou Aristea dans L’Olimpiade à Paris en 2005), s’affirme comme le triomphateur de la soirée. Bien que peu mise en valeur par le rôle d’Adrasto, l’étoffe vocale de Romina Basso est toujours remarquable, avec un large éventail de couleurs, des graves sonores et un sens théâtral déjà admiré en début d’année au Théâtre des Champs-Elysées (Ercole sul Termodonte) et encore plus la saison précédente (Juditha Triumphans). Dans un rôle écrit pour Antonia Merighi, célèbre cantatrice qui eut ensuite son heure de gloire à Londres dans des opéras de Haendel (Lotario, Partenope, Poro), Sara Mingardo montre une volonté expressive qu’on ne lui a pas toujours connue. La technique demeure imparable même si son contralto sonne sourd, comme en retrait (au contraire du disque qui en souligne l’incroyable velours). Les talents de comédienne de Monica Baccelli, très engagée en Osmira, viennent au secours d’une personnalité vocale moins prégnante. Beaucoup d’intention et même de fluidité dans la composition mais une voix courte, légèrement instable dans l’aigu. Ni Marina Comparato, ni Rafaella Milanesi, l’une et l’autre sur la réserve, ne parviennent à insuffler d’existence à leur personnage (bien insipide, au demeurant). Relégué au second plan, Furio Zanasi, dont les accents n’ont rien perdu de leur mordant, est désormais inaudible à partir du bas médium. Le baryton retrouve un peu de projection le temps d’un « chi alla colpa fà tragitto » efficace (l’air avec son accompagnement goguenard de basson a été gravé par Lorenzo Regazzo).
Si l’on a pu reprocher à certains de fouetter un peu trop leur Vivaldi, Rinaldo Alessandrini pêche par l’excès inverse. De la rigueur, de l’élan, des sonorités moelleuses (et des cors qui pour une fois ne dérapent pas) mais peu de fièvre. Espérons que l’enregistrement d’Armida, vraisemblablement prévu par Naïve, fera monter la température d’une œuvre sinon tiède.