Les occasions d’entendre Annick Massis à Paris sont rares. Si l’on s’en tient à la dernière décennie, ses apparitions dans la capitale peuvent se compter sur les doigts d’une main : Hébé et Fatime dans Les Indes galantes à Garnier en 2000, une sémillante Comtesse Adèle dans Le Comte Ory, à l’Opéra-comique en 2003, une Sémélé au Théâtre des Champs-Elysées l’année suivante et en 2007 une Eudoxie remarquée à l’Opéra Bastille. C’est peu, si l’on considère que durant la même période elle offrait – entre autres – sa Lucia à New-York, Zürich et Vienne, sa Violetta à Vienne encore, son Amina à Berlin, sa Rosine à Vérone et plus récemment sa triple incarnation dans Les Contes d’Hoffmann à Nice et sa Comtesse de Folleville dans Le Voyage à Reims à la Scala. En fin de saison, ce seront les Romains qui entendront sa première Manon.
Pour ce rendez-vous privilégié avec le public parisien, la cantatrice avait concocté un programme qui s’articulait autour de l’opéra français du dix-neuvième siècle et du bel canto italien avec des extraits de ses prises de rôles récentes ou à venir qui auraient dû lui permettre d’exhiber les différentes facettes de son art, si elle avait été en pleine possession de ses moyens. Or c’est en petite forme vocale que Massis s’est présentée sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées. Trac, fatigue passagère ou laryngite foudroyante ? Dès son entrée, la cantatrice semble peu à l’aise, elle marque plus qu’elle ne chante « La petite table », qui s’en trouve privée d’émotion. Le deuxième air nous rassure, voici une Leila juvénile et chaste, la voix semble avoir retrouvé ses couleurs, le portrait de la jeune fille qui s’éveille à l’amour est dessiné avec pudeur et délicatesse. Le public exulte mais l’embellie ne durera pas, ce sera le meilleur moment de la soirée. L’air redoutable de Juliette qui conclut la première partie éprouve la chanteuse, aux prises avec une tessiture qui semble la dépasser : le grave devient rauque, le trille est à peine esquissé et ce n’est pas l’aigu final tenu plus longtemps que de raison qui rattrape la sauce. Déception.
L’entracte allait-il permettre à Annick Massis de recouvrer l’intégrité de ses moyens? Malheureusement non. Un léger accroc vocal lors de l’attaque de l’air d’Amina déstabilise la cantatrice qui devient précautionneuse au point d’en oublier le personnage, elle souffre visiblement et le public souffre avec elle. Cependant elle affronte crânement la cabalette qu’elle exécute avec brio, surmontant le problème qui semble affecter surtout ses notes de passage et offre dans le second couplet un feu d’artifice de vocalises parfaitement maîtrisées et couronnées par un aigu éclatant, miraculeusement préservé. Le public ne ménage pas ses encouragements et ovationne chaleureusement la chanteuse qui ne peut cependant pas masquer la contrariété qui se lit sur son visage. Elle peinera à venir à bout de l’air de Sémiramis, luttant contre une voix dont le contrôle lui échappe inexorablement et consentira malgré tout à offrir un bis, la cabalette finale de Lucia.
Au pupitre le jeune chef italien dirige avec précision l’ensemble orchestral de Paris dont les vents, en particulier les cors, ont paru quelque peu fâchés avec la justesse (l’ouverture de Sémiramis). Dommage qu’il ait tendance à abuser du fortissimo dans les tutti, les ouvertures de Rossini en font les frais. De surcroît, la vélocité permanente de ses tempi laisse peu de place à la poésie et l’abandon.
En fin de compte ce concert aura eu au moins le mérite de rappeler que les artistes sont aussi des êtres humains qui connaissent comme tout un chacun des passages à vide ou des périodes de méforme ou… un chat dans la gorge.
Annick Massis est une cantatrice intègre et scrupuleuse qui mène sa carrière avec intelligence et discernement à l’abri des aléas du star system. Elle vaut bien mieux que ce qu’elle a offert ce soir. Elle nous doit une revanche. On espère que l’occasion lui en sera très vite donnée.